Nos élèves, ces citoyennes et citoyens numériques
L’univers numérique est en croissance dans toutes les sphères de nos vies. Et il offre tant de possibilités, notamment cet espace, si facilement accessible, pour prendre une place active et engagée en société. Car oui, la citoyenneté s’exprime désormais aussi dans ce monde multiplateforme et interconnecté. À titre de membre du personnel scolaire actuellement en poste ou en devenir, ça vous amène peut-être quelques interrogations. Car l’éducation à la citoyenneté auprès des élèves ne saurait être complète sans considérer «la citoyenneté numérique». Mais quelles sont ses composantes? Et comment aider les élèves à développer une citoyenneté numérique active, engagée et responsable? Le numéro thématique «La complexité de l’éducation à la citoyenneté numérique: des enjeux sociétaux, éducatifs et politiques», de la revue Éducation et francophonie, s’intéresse, entre autres, à de telles questions.
Le blogue Francosphère s’est entretenu avec la chercheuse Manon LeBlanc, ainsi que les chercheurs Michel T. Léger et Viktor Freiman, de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton, pour en apprendre plus sur le sujet. Cette entrevue a été réalisée à la suite de la publication de leur article «La citoyenneté numérique dans un monde interconnecté: recenser et modéliser pour mieux éduquer», paru dans la revue Éducation et francophonie.
C’est quoi la citoyenneté numérique?
Pour commencer, comment pourrait-on décrire simplement la citoyenneté numérique? «Pour moi, la citoyenneté numérique, c’est être outillé à la fois pour collaborer avec les gens et prendre des décisions éclairées en utilisant les technologies, tout en aidant ou en participant à l’amélioration du monde qui nous entoure», explique Manon LeBlanc.
Dans leur article, les trois universitaires proposent un modèle pour comprendre les composantes clés de la citoyenneté numérique, en s’appuyant sur une recension des écrits. Ainsi, la chercheuse et les chercheurs présentent la citoyenneté numérique comme étant l’alliage entre des compétences citoyennes (par exemple, l’engagement ou la capacité à faire des choix responsables) et des compétences numériques (par exemple, l’utilisation compétente des technologies et la capacité à évaluer la crédibilité des informations).
Des projets scolaires qui changent les choses
Mais alors, comment aider les élèves à travailler sur ces compétences pour s’impliquer activement en tant que citoyennes et citoyens numériques? En réalisant des projets scolaires qui intègrent la technologie et qui «ont une composante d’engagement civique. Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait une transformation des élèves à travers le travail accompli, mais aussi une transformation de la communauté», souligne Manon LeBlanc.
«Par exemple, dans une école du Nord-Est du Nouveau-Brunswick, il y a un groupe d’élèves qui a décidé d’explorer l’imprimante tridimensionnelle. Le groupe a formulé un projet en collaboration avec leur municipalité pour créer la maquette d’un territoire où la ville souhaitait y bâtir une structure. Il y a donc un partenariat qui s’est créé pour offrir le fruit de leur projet numérique, dans un cadre scolaire», commente Michel T. Léger.
Comme autre exemple, Viktor Freiman mentionne le projet du blogue Acadiepédia. Une initiative portée par des élèves de la 4e à la 12e année, qui donne envie aux gens de découvrir leur univers et leur coin de pays. «Ces jeunes ont créé une vaste gamme d’expériences locales, à l’échelle numérique, pour parler de leur vie dans leur communauté», explique-t-il. Ce genre de projets met en valeur une «dimension créative», souligne le chercheur, en plus d’offrir souvent beaucoup de fierté aux jeunes. En effet, dans un projet similaire, les élèves ont partagé leur «fierté de vivre ici, chez nous, mais aussi la fierté de la partager avec le monde entier», poursuit-il.
Dans ces projets, le développement de la citoyenneté numérique peut s’exprimer, notamment, par l’idée d’assumer le rôle de citoyennes et de citoyens responsables. «Être responsables de sa langue […] parce qu’on fait attention à ce qu’on publie, mais aussi la dimension éthique cybernétique, éthique citoyenne: respecter les autres, travailler en collaboration, comprendre les autres», ajoute le chercheur. Ces projets numériques permettent par exemple aux élèves «de communiquer, d’interagir avec d’autres élèves et leur donnent le goût de partager leur langue, leur culture, et d’apprendre des autres», explique Viktor Freiman. «Je pense que c’est cette pratique d’échanges, de partages et de collaborations qui crée une culture de citoyenneté numérique», complète-t-il.
Apprendre la citoyenneté numérique
Ça donne le goût de se lancer! Mais par où commencer? Comment construire un bon projet pour accompagner les élèves dans le développement d’une citoyenneté numérique active, engagée et responsable? «Il s’agit de présenter des opportunités qui sont riches, de donner la place aux élèves pour construire des projets qui leur parlent, qui sont signifiants», explique Manon LeBlanc. «Il ne faut pas avoir peur de faire éclater les murs de la classe. Avec les technologies, on a accès à tellement de connaissances, de gens un peu partout dans le monde. Il faut se permettre de sortir de la boîte et de s’éclater», poursuit-elle. «Le tout doit se passer dans une atmosphère de découvertes, d’incertitudes. Ce sont des terrains d’apprentissages extrêmement importants», ajoute Michel T. Léger. «C’est extrêmement important d’oser. De voir des collaborations possibles. De laisser les élèves prendre l’initiative. De miser sur leurs compétences entrepreneuriales», complète Viktor Freiman.
Manon LeBlanc suggère au personnel éducatif de s’outiller du modèle présenté dans leur article scientifique afin de concevoir des projets avec les jeunes. Elle mentionne qu’il est possible de simplement «enrichir ce qui est fait déjà en salle de classe», en ajoutant des éléments qui aideront les élèves à développer leurs compétences numériques et citoyennes, comme indiquées dans le modèle. Par exemple, en réutilisant une résolution de problème déjà vu en classe qui conduira les jeunes à mettre en valeur leur pensée critique sur le Web et leur engagement. «L’idée, ce n’est pas nécessairement de repartir à zéro ou de réinventer la roue, mais de faire mieux avec ce qu’on fait déjà bien», explique la chercheuse.
Accepter les zones grises
Et quelle est la posture à adopter pour les enseignantes et les enseignants? Comment développer ses propres compétences citoyennes et numériques en vue d’accompagner les élèves à faire la même chose? «[Il faut adopter] certaines attitudes, comme prendre des risques, faire preuve d’ouverture, oser. Vivre des expériences pratiques. Se donner le pouvoir d’agir, le pouvoir de changer le monde. Et ces attitudes-là, elles se travaillent», répond Viktor Freiman.
Et il ne faut pas se sentir intimidé par les connaissances informatiques des élèves, qui sont parfois plus avancées que nous. «On est là pour aider les élèves, même si on n’a pas la réponse à leurs questions immédiatement. On peut, ensemble, avec les élèves, faire équipe pour découvrir. C’est une différente façon de voir l’enseignement. [On ne se voit] pas comme la personne qui a la réponse, mais plutôt comme la personne qui accompagne le développement, la recherche de la réponse de ses apprenants. [Réaliser un projet qui mise sur la citoyenneté numérique avec les élèves], c’est vraiment une aventure collaborative d’apprentissage. C’est comme ça que je le vois», ajoute Michel T. Léger.
Coup d’œil sur le futur
«L’éducation est une arme puissante pour répondre aux défis considérables associés aux technologies et aux médias numériques», écrivent les trois universitaires dans leur article, qui soulignent aussi l’importance de favoriser le développement de la citoyenneté numérique chez les jeunes. Pourquoi? Parce que, selon Viktor Freiman, la citoyenneté numérique apporte beaucoup d’espoir en l’avenir. «Ça amènera des solutions créatives à des problèmes complexes qu’on vit comme société, au niveau local, puis au niveau global également. Ça va changer le monde dans lequel on vit», confie-t-il.
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis 1971, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «La complexité de l’éducation à la citoyenneté numérique: des enjeux sociétaux, éducatifs et politiques», paru à l’hiver 2022, met en évidence de nouveaux enjeux engendrés par les avancées du numérique et des intelligences artificielles, ainsi que par l’usage qu’en font les jeunes dans le cadre éducatif et à l’extérieur de l’école. Vous aimeriez en savoir plus? Faites la lecture de ce numéro de la revue dès maintenant!
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