Tout au long de ma carrière, peu importe le poste que j’ai occupé, j’ai insisté pour maintenir ma qualité d’enseignant avant tout. Même à la retraite, il n’est pas question de me départir de cette distinction qui continue de coller à mon identité.
À l’approche du temps des Fêtes, je revis le moment où je cessais toute activité en salle de classe afin de permettre aux élèves de se ruer aux fenêtres pour voir la première neige tomber. J’avoue candidement aujourd’hui que c’était un geste tout à fait égoïste qui, s’il réjouissait les élèves au plus haut point, me permettait avant tout de les observer dans la naïveté la plus pure de l’enfance, celle qu’ils essayaient de cacher la plupart du temps.
J’ai pris conscience de mon état d’enseignant perpétuel quelques années plus tard, alors que j’occupais un poste trop loin du quotidien des écoles. En fait, j’y retournais ce jour-là pour assister au concert de Noël de mes propres enfants, coincé parmi les autres parents. Comme la plupart de ceux-ci, j’eus la larme à l’œil quand je vis ma progéniture apparaître parmi les bœufs, les moutons et les anges de nos campagnes. Mais je me mis à brailler comme un grand veau quand je vis l’enseignante qui se croyait bien cachée derrière les rideaux gesticuler comme un soldat pour rappeler à ses élèves de se tenir bien droit et étirer son visage dans tous les sens pour leur faire signe de sourire en chantant. Eh oui, je m’ennuyais de ces moments de pur enfer où on craint que le clown de la classe va faire des siennes et que l’élève sur qui on compte le plus ne se souviendra plus des gestes qu’il doit faire. Je m’ennuyais surtout, vous vous en doutez bien, de ces moments de douce complicité entre mes élèves et moi et de la satisfaction que nous tirions tous de nos succès.
Que le vrai Père Noël se lève!
Je me suis toujours senti un peu nerveux devant des situations délicates sur lesquelles je n’ai que très peu de contrôle, et je savais que l’approche du temps des Fêtes n’était pas que féerie. Ainsi, je sentais mes nerfs se crisper quand j’entendais au mois de décembre, comme un écho du fond de ma classe : « Le Père Noël, ça existe même pas! ».
Ou sa variante encore plus terrifiante : « Han? Tu crois encore au Père Noël?! »
Je savais à ce moment même que cette discussion créerait un grand schisme au sein de mon troupeau. Par sagesse, et un peu par crainte de représailles, je me gardais bien de m’en mêler tout en restant à l’affût d’une possible escalade de la tension.
Le fait est qu’aucun débat ne suscitait une prise de position aussi vive chez mes élèves. Les radicaux – appelons-les les non-croyants – étaient les plus rapides à s’affirmer. Faits probants et railleries fusaient à profusion :
— Comment tu penses qu’y peut être dans tous les centres d’achats en même temps?
— T’as même pas de cheminée, niaiseux!
Ceux que nous appellerons les croyants étaient moins vifs sur la réplique. Sur un ton offensé, j’entendais de vagues références à des calorifères aux propriétés magiques suivi d’un argument de poids : aucun élève ne pouvait se targuer de s’être rendu dans deux centres commerciaux en même temps, réfutant la thèse farfelue que plusieurs faux Pères Noëls puissent s’y trouver.
Le clan des indécis suivait le débat des yeux comme s’il s’agissait d’un championnat mondial de ping-pong. Le groupe acceptait de nouveaux membres à chaque échange. Quant à moi, je continuais de retenir mon souffle.
Les leaders sortent souvent de nulle part, c’est bien connu. C’est avec soulagement que j’entendais l’énoncé qui trancherait la question, l’argument qui clouerait le bec à tout le monde :
— Le Père Noël existe parce que ma mère l’a dit, bon.
Plus puissant encore était le « Ma mère l’a vu! ».
C’est la petite voix d’Andy qui restera cependant pour moi l’argument massue qui en laissa plus d’un perplexe :
— Ma mère a dit que le vrai Père Noël parle toutes les langues. Faque ceux qui parlent pas français, ils sont juste pour faire accroire.
Je développai sur le champ un désir de reconnaissance éternelle pour la mère d’Andy, sentiment qui perdure encore à ce jour.
Le vrai Père Noël
Plusieurs années plus tard, je me retrouvais à accompagner des groupes d’adolescents qui ne croyaient vraiment plus au Père Noël. C’est en leur racontant ces souvenirs qu’est née l’idée d’assurer la présence d’un Père Noël francophone auprès des plus jeunes de l’école. Cette tradition a pris racine et les parents qui le souhaitaient pouvaient ainsi rencontrer le Père Noël qui parle français, le vrai.
Certains petits malins ont voulu tester s’il parlait anglais, ce qu’il leur confirma. Le Père Noël est multilingue après tout!
Je ne sais pas si les enfants tiennent encore des débats si animés au sujet du Père Noël ou s’ils demandent tout simplement à Siri ou à Alexa de trancher la question. Je sais cependant que nous vivons dans un monde de plus en plus commercialisé où la question de la langue s’éclipse souvent au profit… du profit. Comment les enfants perçoivent-ils la langue française quand ils ne la voient nulle part? Quels efforts devons-nous cibler pour que, dans nos communautés, les enfants grandissent avec une haute estime de leur langue, une langue qui leur permettra même de passer une commande au Père Noël, confortablement assis sur ses genoux?
En ce temps où les vœux des francophones des communautés minoritaires doivent se faire entendre à grands coups de manifestations, permettons-nous de rêver à un monde où nos enfants et nos petits-enfants évolueront dans des conditions où il fera bon vivre en français dans toutes les situations de la vie courante.
À tous et à toutes, une joyeuse période des Fêtes et une heureuse année où vos souhaits les plus chers se réaliseront!
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