J’ai eu le privilège d’être aux premières loges pour assister au spectacle de la création de certaines écoles de langue française, dans un rôle d’inspecteur qui ressemblait vaguement à celui d’un épisode des Filles de Caleb. Je me rendais à ces nouvelles écoles pour voir comment les choses s’y déroulaient: il ne manquait que le cheval et la carriole.
Qui dit école, dit espace physique où il est possible d’installer des salles de classe. Pour certaines communautés, cela signifiait obtenir un tel espace du conseil scolaire anglophone qui n’avait pas vu venir le coup. Comme l’avait si bien dit une des responsables : «L’école francophone, c’est arrivé comme un cheval sur la soupe!». L’image m’est restée car elle décrivait bien la situation de plusieurs.
Bienvenue à l’école de langue française
La toute nouvelle école où je devais me rendre ce matin-là avait ouvert ses portes dans le sous-sol d’une école anglaise, seul espace jugé adéquat et disponible dans cette région. On avait créé une entrée destinée aux élèves francophones qui frôlait la salle des fournaises et c’est par là que j’accédai au vestibule. Premier signe que j’étais au bon endroit, un panneau d’affichage indiquait «Soyez fiers d’être francophones!». J’entendis ensuite des élèves qui chantaient en français, d’autres qui répétaient des comptines. Des rires, des voix aux intonations familières. J’étais arrivé à bon port : l’école de langue française.
La directrice était resplendissante. On n’aurait pu mieux choisir pour donner un premier souffle de vie à cette école qui, disons-le, aurait eu besoin d’un sérieux coup de pinceau. Elle m’accueillit avec un grand sourire, une poignée de main et une accolade qui en disait long sur la joie qu’elle éprouvait d’accueillir un visiteur. Radieuse, elle me demanda ce que je pensais de leur devise «Soyez fiers d’être francophones!» et elle dût lire dans mes pensées car elle partit d’un grand éclat de rire. Entre les tuiles dépareillées du plancher et celles du plafond qui menaçaient de tomber, j’émis un commentaire timide dont je me souviens encore : «La fierté, ça m’a toujours intrigué…».
Elle s’en souvint elle aussi car quelques mois plus tard, elle était à l’autre bout du fil pour me relancer :
— Tu te souviens quand t’es venu à notre école? Tu sais quand t’as dit que la fierté ça t’intrigue? Ben j’en ai parlé à mon personnel et on aimerait que tu viennes nous faire une présentation lors de notre prochaine journée pédagogique.
— Euh… une présentation à quel sujet? répondis-je sincèrement intrigué.
— Ben, la fierté voyons! On a ben hâte de te revoir.
Du même souffle, elle me fit part de la date et de l’heure, de ce qu’on mangerait pour le lunch et ajouta qu’une des classes ferait des pâtisseries pour la pause. Et raccrocha.
Une formation à inventer
Une fois revenu du choc de cette tornade téléphonique, je me surpris à sourire. En réalité, rien ne me faisait plus plaisir qu’une demande de formation qui répondait à un besoin bien spécifique. Si je m’ennuyais souvent quand j’avais à offrir le même atelier à plusieurs reprises, voilà que j’étais servi.
Je déchantai un peu après avoir fait une petite recherche sur la fierté pour n’y trouver que peu de choses intéressantes. Quant à la fierté d’être francophone, minoritaire de surcroît, alors là c’était le néant. On dit que la nécessité est la mère de l’invention; dans mon cas c’était la panique.
L’idée de fierté se mit à me trotter dans la tête à tout moment du jour. La définition du dictionnaire évoquait l’idée d’un sentiment élevé de la dignité et de l’honneur et je ne voyais pas du tout comment je construirais une formation là-dessus.
C’est dans un contexte tout autre que celui de l’éducation que je finis par trouver les réponses à mes questions.
Une couleur discutable
Mon père aimait beaucoup les autos et dès que j’eus 16 ans, il se mit à dénicher des tacots qu’il retapait et revendait aussitôt. Entre-temps, ces bagnoles me servaient de véhicules. Précisons que je ne ressentais pas particulièrement de fierté à les conduire.
Aussi, dès que j’eus mon premier contrat d’enseignement en poche, je filai directement vers un concessionnaire pour me procurer ma première auto neuve. Ça devait être héréditaire, car je tombai en amour sur-le-champ et fit l’acquisition d’une petite merveille sur roues. Je tremblais de joie en signant les formulaires du prêt et le contrat de vente.
Après une nuit passée à jeter un coup d’œil par la fenêtre pour m’assurer qu’elle ne bougeait pas du stationnement, je partis vers l’école plus tôt que d’habitude et me garai tout près de l’entrée principale, là où tout le personnel de l’école la verrait, assurément.
Une première collègue arriva enfin et me trouva penché sur le capot en train d’essuyer une poussière.
— Ahhh.. tu t’es acheté une nouvelle auto?
— Oui… hehe… l’aimes-tu?
— Hmm… moi, tu sais, cette couleur-là, ça me fait toujours penser à une cour-à-scrap, je sais pas trop pourquoi.
Et elle entra tout bonnement dans l’école, guillerette, prendre son petit café pendant que je ramassais ma mâchoire inférieure qui traînait lamentablement sur l’asphalte du stationnement.
J’aurais vendu mon auto au premier qui m’aurait offert la moitié de sa valeur. J’entrai dans l’école accueillir mes élèves. Après tout, j’avais des paiements d’auto à faire, n’est-ce pas?
C’est cette aventure qui m’inspira finalement la théorie «AIE» que je présentai au personnel enseignant de cette nouvelle école située dans un sous-sol, comme tant d’autres, l’appris-je par la suite.
A pour AFFILIATION
Le soir de l’achat, j’étais extrêmement fier de mon auto, simplement dû au fait que j’y étais associé; je ne l’avais pas construite, je n’avais rien à voir avec sa performance, mais j’en étais le propriétaire.
De la même façon, nos élèves peuvent être fiers d’être associés à leur école simplement parce qu’ils y sont inscrits. Si elle est accueillante, si le personnel les attend chaque matin à bras ouverts, si le décor des corridors est attrayant, les élèves peuvent être fiers simplement par «affiliation».
I pour INTIME
Quand j’ai pris la route pour la première fois avec ma nouvelle auto, il est bien possible que je chantais «Je me fous du monde entier». J’avais déjà développé une connexion personnelle avec ce véhicule, je vivais le coup de foudre, ce sentiment interne et personnel qu’on ressent sans trop savoir pourquoi, puisqu’on n’a pas à l’expliquer.
On ne saura jamais vraiment quels liens intimes les élèves tissent avec leur école, ou même avec la langue française. On souhaite tous, cependant, que les deux (l’école et la langue) laissent suffisamment de traces positives pour que nos élèves fassent le choix éclairé d’intégrer le français à leur avenir : c’est l’ultime but de l’école de langue française. La seule contribution que nous pouvons faire à cet égard est, justement, de s’assurer que les élèves vivent un rapport dynamisant[1] avec leur environnement francophone.
E pour EXTRINSÈQUE
Imaginez pour un instant qu’une quinzaine de mes collègues soient arrivés à l’école avant l’enseignante récalcitrante qui n’aimait pas la couleur de ma nouvelle auto. Chacun et chacune des quinze personnes m’aurait complimenté sur ma nouvelle auto, certains ajoutant même qu’ils raffolaient de cette couleur. Quelle aurait été ma réaction quand elle, arrivant bonne seizième, m’aurait raconté que cette couleur lui rappelait un cimetière d’autos? Je l’aurais sans doute envoyé paître, me fichant de son commentaire, en continuant de m’affairer à déloger cette poussière sur mon capot.
Ce qui provient de l’extérieur a énormément d’impact chez nos élèves, on ne saurait trop le reconnaître. Ils peuvent avoir développé un lien d’affiliation fort avec leur école et entretenir un lien intime puissant avec la langue française, rien n’aura autant d’impact que le jugement provenant de l’extérieur. Ce que les médias rapportent, la place que la communauté majoritaire accorde à la francophonie, l’ouverture à la diversité linguistique, sont autant de facteurs qui influencent ce que l’avenir réserve à la langue française.
Et la fierté dans tout ça?
Et vous? De quoi êtes-vous particulièrement fiers? Quels liens pouvez-vous faire avec la théorie AIE?
Cette chronique est la dernière de la présente série. Je vous laisse en faisant le souhait que vous soyez pour vos élèves la personne qui allume et avive l’étincelle de la fierté qui se trouve en chacun et chacune. «L’essentiel est invisible pour les yeux», n’est-ce pas?
[1] La dynamisation est un des concepts de la Pédagogie à l’école de langue française (PELF) qui se définit comme la stimulation de la confiance langagière et culturelle, et de la motivation à s’engager dans la francophonie.
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