Pas de retraite pour la construction identitaire
«Nous, les personnes aînées, on ne devrait jamais prendre notre retraite quand il s’agit d’avoir un impact sur l’épanouissement culturel de nos familles et de nos communautés», pense Solange Haché, présidente de la Fédération des aînées et aînés francophones du Canada (FAAFC). Fière Acadienne, francophone engagée et pédagogue d’expérience, Solange est aussi membre honoraire et collaboratrice de longue date auprès de l’ACELF. Avec générosité, elle nous partage ses réflexions sur l’apport des personnes aînées dans la vitalité de nos communautés francophones. Elle nous fait réaliser à quel point elles ont une importance déterminante dans le continuum en construction identitaire. Et comment elles contribuent à forger ce que nous sommes, ainsi que le chemin que nous traçons, génération après génération.
Un phare
Que seraient nos communautés francophones sans les gens d’expérience qui la composent? Sans ce qu’ils ont bâti, mais aussi ce qu’ils bâtissent aujourd’hui? Poser la question, c’est un peu y répondre.
«Les personnes aînées jouent un rôle important, je dirais même essentiel, par rapport au rayonnement de la francophonie dans nos différentes communautés. Elles y contribuent énormément, non seulement au niveau économique, mais aussi au niveau de divers organismes reliés à la langue française et à la culture francophone. Les personnes aînées d’aujourd’hui s’engagent beaucoup. Elles sont inspirantes», mentionne Solange. Selon elle, le rôle des personnes aînées est comparable à un phare. «Nous avons la responsabilité d’éclairer et d’allumer cette fierté de la francophonie. C’est le plus bel héritage qu’on puisse laisser aux générations qui nous suivent», pense-t-elle.
Un lien affectif particulier
Alors, peut-on dire que les personnes aînées jouent un rôle dans le développement identitaire francophone des gens qui les entourent, notamment de leurs petits-enfants? «Cette question me porte à réfléchir à ma propre identité. Qui a façonné mon identité culturelle acadienne et francophone? Qui a éveillé en moi cette fierté pour la langue? Mes parents, l’école, [mais aussi] mes grands-parents. Mes grands-parents étaient des modèles, des passeurs culturels», confie Solange.
«Encore aujourd’hui, je me remémore les bons moments passés avec ma grand-mère. Avec elle, on a appris [tant de choses]. Et à mon tour, j’essaie de transmettre cette culture qu’elle m’a partagée. D’abord, j’espère que je l’ai transmis à mes enfants. Et maintenant, à mes petits-enfants. Je leur lis des histoires acadiennes, nous allons à la bibliothèque, on jardine, on écoute Monsieur Crapaud, on fait du sport, et tout cela en français. Encore aujourd’hui, je pense à mes grands-parents quand je fais ces activités avec mes petits», témoigne-t-elle.
Un propos qui fait écho au vécu de plusieurs. Posez-vous, vous aussi, la question. Quel est l’apport de vos grands-parents, ou d’autres personnes aînées significatives, dans le développement de votre identité à vous? Ce constat, il est important.
«Quand je pense à mes grands-parents, qui étaient [en plus] des modèles d’engagement dans leur communauté, je réalise à quel point les personnes aînées sont précieuses pour nourrir la construction identitaire francophone de leurs petits-enfants, mais aussi de toute la communauté», ajoute Solange. «Je réalise qu’on poursuit le rôle des parents et de l’école en construction identitaire, mais de façon différente. On y met une touche créative, basée sur un lien affectif», explique-t-elle.
Une implication qui prend plusieurs formes
Par leur implication, les personnes aînées francophones ont décidément un impact sur le développement identitaire de nombreuses autres personnes. Au-delà même de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Tant d’exemples le démontrent au niveau local, provincial, territorial et pancanadien. Pour en témoigner, Solange mentionne des initiatives inspirantes de la FAAFC.
Notamment, «avant la pandémie de COVID-19, le programme Langue et culture au primaire a permis à des personnes aînées de faire la lecture à des jeunes du primaire. Quand la pandémie est arrivée et que les personnes aînées ne pouvaient plus aller dans les écoles, le personnel enseignant nous a expliqué à quel point les élèves assignés à ce programme étaient déçus. Parce qu’au-delà de la lecture en français, il y avait ce lien affectif qui s’était créé, [cette façon unique de partager] la francophonie. Et avec les personnes aînées, il y a ce lien-là. On n’est pas dans un rapport d’autorité, on n’est pas dans le jugement. Ça permet le développement d’un sentiment d’appropriation à la culture francophone [en toute confiance]», indique Solange.
Comme autre exemple, le programme Intégration des nouveaux arrivants dans les communautés francophones au pays vise à impliquer les personnes aînées dans l’accueil des nouvelles personnes arrivantes. Le tout pour les aider à «sentir qu’elles appartiennent à la francophonie et qu’elles peuvent y contribuer», ajoute-t-elle.
L’identité se bâtit toute la vie
Les personnes aînées font donc vibrer l’identité francophone des personnes qu’elles côtoient. Mais qu’en est-il d’elles-mêmes? Comment alimentent-elles leur propre francosphère, même pendant la retraite? Solange donne l’exemple de FrancSavoir, une autre des initiatives fort intéressantes de FAAFC. En effet, la fédération «se veut très active pour garder bien vivante cette identité francophone chez les personnes aînées et pour toujours rappeler l’importance de garder le «phare» bien allumé», explique-t-elle. Ce projet «permet aux personnes aînées de développer de nouvelles connaissances, de socialiser, de célébrer les talents et, surtout, de garder bien vivante leur identité francophone. On y exploite des thèmes tels que l’histoire, la littérature, les arts et autres. Les activités proposées permettent de créer des liens avec d’autres personnes aînées francophones, favorisent certainement leur appartenance à la communauté francophone et alimentent leur propre construction identitaire», explique-t-elle.
Mais il existe de nombreuses autres façons par lesquelles les personnes aînées poursuivent le développement de leur identité francophone, ajoute Solange. «Quand je regarde les personnes aînées autour de moi, elles font partie de beaucoup de groupes dans les communautés: club de lecture, club sportif, etc. C’est sûr que ça alimente leur appartenance à la communauté francophone. Prendre position sur des enjeux, ou se plonger dans de nouvelles expériences, ce sont aussi de bonnes façons de nourrir sa construction identitaire», mentionne-t-elle, entre autres.
L’école et la construction identitaire vont de pair
En transmettant le goût de la culture francophone et le désir de vivre en français, les personnes aînées prennent, en conséquence, une place importante dans le continuum en construction identitaire. Mais elles ont aussi un impact sur le continuum éducatif de langue française. Elles transmettent le désir aux parents d’inscrire leurs enfants à l’école de langue française. Elles donnent envie aux jeunes de poursuivre leurs études en français. Et elles participent aussi à ce continuum, par exemple en prenant part à des formations et en étant, comme le mentionne Solange, «des modèles d’apprenants continus». Ainsi, les gens d’expérience ont une influence sur deux chemins qui se chevauchent et se renforcent: le continuum en éducation et le continuum en construction identitaire. Et ça, c’est bien là la démonstration que leur rôle est vraiment crucial.
Une conscientisation nécessaire
«Nous, les personnes aînées francophones, et celles avant nous avons travaillé très fort afin que nos enfants et nos petits-enfants grandissent dans un milieu inclusif, respectueux de notre langue et de notre culture. Nous sommes la mémoire collective. C’est important de faire comprendre les luttes et les progrès réalisés. C’est impératif que nous continuions à manifester notre attachement à notre langue, à notre culture, à nos institutions, et ce, au quotidien. Que ce soit par nos décisions, nos choix ou encore par nos engagements. Nous devons exprimer haut et fort ce qui nous distingue et ce qui nous unit. Notre participation active est nécessaire, je dirais primordiale», commente Solange.
«C’est important de prendre conscience de ce rôle des personnes aînées, de ce pouvoir, de cette importance-là. Cette conscientisation, on doit la poursuivre», croit-elle. D’une part pour sensibiliser les personnes aînées à leur place dans l’épanouissement identitaire francophone de gens de nos communautés. Mais aussi pour conscientiser l’ensemble des membres de nos communautés à l’apport de nos personnes aînées. «En valorisant davantage le vécu, les expertises et les compétences des personnes aînées, ce sont nos jeunes et toute la communauté qui en ressortiront gagnants», résume Solange.
Comme vous le découvrirez en parcourant le fascicule Pour un continuum solide, de la série Comprendre la construction identitaire, toutes les composantes de la communauté francophone ont leur importance. Et le rôle des personnes aînées n’est absolument pas à sous-estimer. Il ne tient qu’à nous de faire scintiller l’apport de toutes et de tous.
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