La pédagogie universelle: enseigner selon les besoins des élèves
Vous aimeriez que votre milieu éducatif soit plus inclusif? Vous cherchez une approche pour répondre aux besoins variés de vos élèves tout en favorisant leur motivation? La pédagogie universelle va sans doute vous intéresser. Et c’est justement la thématique du numéro du printemps 2023 de la revue Éducation et francophonie: «La pédagogie universelle: la recherche au service de la pratique». Pour en savoir plus sur cette pratique pédagogique qui favorise l’engagement des personnes apprenantes, on s’est entretenu avec Nadia Rousseau, professeure au Département des sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières et membre du comité de rédaction de la revue. Elle est rédactrice de l’article «Soutenir l’engagement scolaire après la COVID-19: mise en relation de propositions émises par des élèves québécois avec les principes de flexibilité de la conception universelle de l’apprentissage» paru dans ce numéro.
La pédagogie universelle, c’est quoi?
Pour comprendre ce qu’est la pédagogie universelle, ou la conception universelle de l’apprentissage, intéressons-nous à ses 3 grands principes. Ceux-ci doivent guider la planification de l’enseignement afin de favoriser l’inclusion de chaque élève en classe.
- Principe 1 – Recourir à plusieurs moyens de présentation
Selon ce principe, «les contenus proposés aux élèves [doivent être présentés sous plus d’une forme: orale, écrite, présentation visuelle, etc.]. Ça permet aux jeunes de faire le choix de la représentation qui leur est la plus évocatrice ou encore la plus facile d’accès», explique Nadia Rousseau. Il ne s’agit pas de «changer les contenus [que l’on souhaite enseigner], mais plutôt d’offrir une diversité de façons de les présenter», poursuit la chercheuse. - Principe 2 – Offrir des choix d’actions ou d’expressions
Pour faire comprendre ce deuxième principe, la professeure donne l’exemple d’un travail réalisé par ses étudiantes et ses étudiants qui a l’objectif d’évaluer leur compréhension d’un concept. Présentation orale, texte écrit, récit narratif, carte conceptuelle… chaque personne décide de la forme que prendra son travail selon ses préférences. Résultat? «Dans tous les cas, les étudiantes et étudiants répondent à l’objectif, mais le fait de pouvoir choisir la façon de répondre à cet objectif a augmenté la qualité des travaux. On n’est plus dans un apprentissage de surface. On est dans quelque chose qui est beaucoup plus investi, beaucoup plus en profondeur», indique-t-elle. - Principe 3 – Favoriser une variété de moyens d’engagement
Ici, «on se rapporte à toute la dimension d’autorégulation, le plaisir d’apprendre aussi. Il y a des personnes qui préfèrent apprendre seules, d’autres qui ont besoin d’en parler à deux, d’autres qui ont besoin d’être plus actives», énumère par exemple la chercheuse. Ainsi, selon ce principe, on doit offrir aux élèves un choix de moyens pour réaliser les activités, comme travailler en solo ou en équipe, choisir un thème parmi différentes thématiques proposées, etc. Donner des choix, de la latitude aux élèves «va avoir une incidence sur leur engagement et leur [offrir] un apprentissage plus en profondeur», explique-t-elle.
Qu’en pensent les élèves?
Pourquoi ces 3 principes de flexibilité sont-ils pertinents à mettre en œuvre? Notamment parce que «c’est ce que nous demandent les jeunes pour s’engager [davantage] dans leur apprentissage scolaire», indique la chercheuse.
En effet, c’est l’idée qui se dégage de l’étude de Nadia Rousseau. La professeure a été mandatée pour explorer l’expérience scolaire des élèves. Soucieuse de mettre à l’avant-scène la parole des jeunes, elle a rencontré 94 élèves de 14 ans et plus, avec ou sans défis, limitations ou vulnérabilités, dans le cadre de groupes de discussion. Elle leur a demandé, entre autres, ce qui pourrait soutenir leur engament scolaire et les pistes qu’elles ou qu’ils aimeraient partager aux gens de leur école. «Les propos des jeunes ont rapidement évoqué les principes de la conception universelle de l’apprentissage», indique la détentrice d’un doctorat en psychopédagogie de l’Université de l’Alberta.
Dans son article, elle a ainsi associé les propos et suggestions des élèves aux grands principes de flexibilité de la pédagogie universelle. En voici d’ailleurs des exemples.
Miser sur le leadership des jeunes
«Des jeunes dans une école nous ont dit: «il y avait une salle où s’était vraiment laid, vraiment plate. Juste l’aménagement physique, ce n’était pas motivant, ça ne nous tentait pas d’y aller». Un petit groupe d’élèves est allé parler au directeur de l’école qui leur a dit: «je vous offre l’opportunité de créer un comité pour faire des propositions». C’est un bel exemple parce qu’on valorise l’autonomie et le sens des responsabilités. Et il s’est donc créé un petit comité qui comprenait des élèves avec des difficultés et sans difficulté. Le comité avait des idées à trouver et un budget à gérer: on est vraiment dans l’apprentissage concret des mathématiques. Alors, les jeunes me disaient à quel point [ce projet leur avait offert beaucoup de fierté. Maintenant,] cet espace de rassemblement là est à leur image, il est accueillant et c’est ces jeunes qui ont contribué à ça», explique-t-elle.
Dans les discussions, les jeunes ont exprimé leur désir de développer leur autonomie et leur sens des responsabilités. «Les élèves du secondaire estiment que leur participation à la prise de décision contribue à leur engagement scolaire», indique la professeure dans son article, en mentionnant que les jeunes souhaitent qu’on leur laisse plus de place dans les structures décisionnelles et dans la création d’activités. Une telle suggestion est liée au 3e principe: favoriser une variété de moyens d’engagement.
Vivre des apprentissages stimulants
Les groupes d’élèves interrogés ont aussi mentionné leur désir de vivre des apprentissages plus stimulants, en recommandant que «l’enseignement soit plus dynamique, permette d’amener plus loin la matière, amène à faire des liens avec la vraie vie. Dans le fond, ce que les élèves nous disent, c’est de s’éloigner du cahier à remplir tous les jours. On est vraiment dans quelque chose qui est plus signifiant, plus axé sur la vie telle qu’elle est à l’extérieur des murs de l’école. Au lieu d’avoir juste le cahier, on pourrait [par exemple proposer] des tutoriels et avoir une partie des apprentissages à l’aide de ces tutoriels [ou présenter] du matériel pédagogique plus diversifié», explique la chercheuse.
«Les élèves invitent le personnel enseignant à éviter l’enseignement magistral sur une longue durée, à enrichir la matière enseignée pour les élèves qui manifestent plus de facilité, à intégrer des activités ou des exercices adaptés aux besoins spécifiques de certains élèves […] et à recourir à du matériel varié», indique-t-elle dans son article. Elle lie ces propos au 1er principe: recourir à plusieurs moyens de présentation, mais aussi au 2e principe: offrir des choix d’action ou d’expression.
Un angle personnel et concret
En faisant la lecture de l’article «Soutenir l’engagement scolaire après la COVID-19: mise en relation de propositions émises par des élèves québécois avec les principes de flexibilité de la conception universelle de l’apprentissage», vous découvrirez plusieurs autres suggestions éclairantes d’élèves. «Cet article-là part d’abord de la perspective des jeunes», indique la chercheuse. «Quand on est formé en psychopédagogie comme moi, on a un parti pris pour l’expérience d’apprentissage des élèves. Les jeunes sont souvent oubliés dans la recherche en éducation. [Pourtant,] plus on les mobilise dans les questions entourant l’éducation, plus on contribue aussi à leur propre connaissance de soi, à leur propre émancipation, leur propre sentiment d’efficacité», explique Nadia Rousseau, en soulignant qu’elle a fait le choix d’une méthodologie de recherche qui mobilise la voix des personnes apprenantes.
C’est d’ailleurs sous un angle bien personnel que Nadia Rousseau présente son étude dans son article. Pourquoi? Parce que les groupes d’élèves interrogés dans le cadre de cette étude «se sentaient privilégiés d’avoir pu parler et de s’être sentis écoutés. [Des élèves] l’ont nommé avec émotion, encore plus les élèves en grande difficulté. C’était beau. C’est pour ça que je me suis permis d’écrire mon article au «je». Je voulais que le texte puisse motiver des actrices et des acteurs de l’éducation à vouloir en faire plus pour ces jeunes-là, pour que l’école devienne un lieu d’apprentissage en profondeur signifiant et non pas juste un lieu de transmission de curriculums», explique la chercheuse.
Qui plus est, cet article vous aidera non seulement à trouver des stratégies pour rendre votre enseignement plus engageant et inclusif, mais il pourrait aussi vous aider à développer chez les jeunes un rapport positif à la langue française, au bénéfice de leur construction identitaire. Parce qu’on a tout à gagner à rendre l’expérience des élèves dans nos écoles de langue française encore plus épanouissante.
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis plus d’un demi-siècle, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «La pédagogie universelle: la recherche au service de la pratique», paru au printemps 2023, vise à mettre en lumière les pratiques innovantes en matière de pédagogie universelle et de faire un état des connaissances en contexte francophone canadien.
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