La poésie de la langue des signes

7 Décembre 2023
par Francosphère

Tous mes sens sont interpellés, pour découvrir et me guider.  

Mes yeux sont mes oreilles. Et moi, mes oreilles sont mes yeux.  

Faut juste faire preuve d’imaginaire, pour s’exprimer, être créatif.  

Car dans la danse que font nos doigts, se trouve la couleur de nos voix. 

Voici un extrait d’un magnifique poème écrit, chanté et signé en langue des signes (LSQ). Il a été conçu par les élèves du Consortium Centre Jules Léger (CCJL), à Ottawa, en collaboration avec l’auteur-compositeur-interprète franco-ontarien Yao. Dans cette vidéo, Farouk Bouanane, directeur de l’école provinciale du CCJL, présente cette pratique réussie partagée lors de notre 76e congrès tenu à Winnipeg, sur le thème Nos 1 001 voix.

Un projet en cours de finalisation

Si le projet Création de la chanson de l’école des élèves du CCJL est toujours en processus de réalisation, il crée déjà de l’engouement. Conçue avec des élèves ayant une cécité, ayant une surdité et ayant une surdicécité (aveugles et ayant une surdité), l’initiative se démarque par son caractère inclusif et son originalité.

«Le produit final va être sous forme de chanson. On entendra la voix des élèves en cécité et on verra des élèves en surdité et en surdicécité en train de signer, de danser avec la chanson», explique Farouk. Pourquoi créer un tel projet? Comment ça se passe? Et quelles sont, jusqu’ici, ses répercussions? En marge de sa présentation au congrès de l’ACELF, le directeur adjoint nous donne plus d’informations sur cette mélodieuse initiative.

Un milieu éducatif unique en son genre

Avant tout, il faut dire que ce projet émane d’un milieu éducatif unique. En effet, le CCJL est une institution francophone qui offre une éducation spécialisée aux élèves qui ont une malentendance ou une surdité, qui sont aveugles ou en basse vision, qui ont une cécité et une surdité ou qui ont des troubles d’apprentissage sévères. «C’est la seule école francophone au Canada [de ce genre]. Tout le monde est le bienvenu. On a des élèves qui viennent du Québec, de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick. Des familles ont décidé de déménager à Ottawa, juste pour inscrire leur enfant au Consortium Jules Léger [parce que ça fait] une différence», explique Farouk. C’est dans ce contexte que le projet est né, avec le soutien financier du Conseil des arts de l’Ontario, dans l’objectif de rendre l’art accessible. «On voulait un projet rassembleur avec [les élèves de] nos trois programmes», précise Farouk.

L’idée originale de créer une chanson qui puisse représenter l’école a été proposée par l’enseignante Mélanie Boulerice. Quelle était l’intention derrière cette idée? «Faire ressortir les sentiments des enfants envers leur propre école», répond Farouk. «Les élèves viennent de la maternelle jusqu’à la 12e année. À un certain moment, on devient comme une famille. Notre école, c’est plus qu’une école. Ce qu’on fait dans les salles de classe et à l’extérieur des salles de classe, c’est pour le développement global de l’enfant. On est là pour répondre à ses différents besoins: on parle du social, linguistique, académique, on parle de choses qui vont au-delà du curriculum. Ça fait que nos élèves [ressentent du bonheur et de la reconnaissance] d’être dans cette école, d’être avec des spécialistes, d’être comprises et compris par des adultes, de voir des adultes qui leur ressemblent, de voir des anciennes et anciens élèves qui ont réussi… Il y a plusieurs éléments. On voulait faire ressortir ça. On a trouvé que c’était une façon originale de représenter ces sentiments de nos élèves», complète-t-il.

Faire une chanson avec l’artiste Yao

Comment la création de cette chanson s’est-elle déroulée? «On a proposé le projet à Yao. On a [donc] vécu 3 journées complètes d’ateliers avec l’artiste en personne en contact direct avec nos élèves des trois programmes. Yao leur posait des questions pour faire ressortir le vocabulaire, les idées [à savoir]: pourquoi les élèves aiment leur école? L’école, ça veut dire quoi? On a eu une très belle participation des élèves des trois programmes et j’insiste sur ça parce que ce sont des élèves aveugles, avec une surdité et avec une surdité et aveugles qui ont participé pleinement à la rédaction de tout ce qui est écrit dans ce poème-là. Après ces ateliers, l’artiste nous est revenu avec un poème, une chanson. Et, c’est sur ce projet que nous travaillons pour que nos élèves en cécité puissent produire de la voix pour chanter la chanson et que nos élèves en surdité et surdicécité puissent la [présenter] en signes», explique Farouk. Afin de faire retentir ce poème et de lui donner son ampleur, «on a fait venir des artistes de Montréal [ayant une surdité] pour nous aider à chanter en langue des signes», ajoute-t-il.

«Il ne faut pas oublier que 50% du vocabulaire utilisé [dans la chanson] vient de la langue des signes en premier. Après, on l’a écrit en français. C’est une version à 50% originale en langue des signes et une autre version à 50% en français. [Il y a] tout ça dans une même chanson. Ça fait que la partie en signes de la chanson est aussi agréable que la partie orale», précise le directeur adjoint.

Solidifier et partager un sentiment d’appartenance

«Je peux vous confirmer que lors des pratiques, tout le monde a embarqué. Tout le monde était en train de chanter, danser. C’était l’euphorie. C’était juste formidable de vivre ces moments-là. C’est une chanson d’école qui vient des élèves, ça vient du cœur. C’est très agréable», mentionne Farouk avec des étoiles dans les yeux, manifestement très fier de la participation et du travail de ses élèves. Et quel impact a la réalisation de ce projet? «Ça renforce le sentiment d’appartenance, ça renforce le plaisir de venir à l’école», commente-t-il.

Au-delà des murs de l’école, cette chanson retentit déjà. Elle exprime une francophonie rassembleuse. Diversifiée. Florissante. Une francophonie inclusive dont tout le monde peut tirer beaucoup de fierté.

En complément: avoir en main un drapeau franco-ontarien!

En plus du projet Création de la chanson de l’école, Farouk a mentionné un autre projet artistique. Dans la présentation faite au congrès, vous remarquerez un drapeau franco-ontarien bien original. «Au début de ma carrière, une enseignante a décidé de reprendre le drapeau franco-ontarien et de le faire à notre image, à l’image de la communauté sourde. Les élèves ont mis leur main autour et on a dessiné les mains autour du drapeau. C’était juste une activité artistique dans le cadre des festivités [en l’honneur] du drapeau franco-ontarien, mais il était tellement beau qu’on l’a affiché dans le corridor et il est devenu comme un drapeau officiel», explique-t-il. Une si belle idée mérite un coup d’œil! C’est une autre initiative qui, tout comme pour le projet de la Création de la chanson de l’école, favorise la construction identitaire des jeunes en misant sur le développement du sentiment d’appartenance à une francophonie plurielle. Alors si ce n’est pas déjà fait, portez votre attention sur cette vidéo. Constatez à quel point les 1 001 voix qui expriment notre francophonie sont variées, créative et méritent toutes d’être vues et entendue

 

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