Parler français à la maison?!?

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14 novembre 2018
par Ronald Boudreau

Mon diplôme de bachelier en éducation sentait encore l’encre fraîche que je me retrouvais dans une classe où le français parlé de la plupart de mes élèves avait besoin d’un sérieux coup de pouce. C’était devenu ma principale préoccupation – pour ne pas dire une obsession – quand la première rencontre parents-maîtres m’est tombée dessus comme une tonne de briques.

— C’est facile, m’a dit la directrice. Tu n’as que vingt-cinq élèves, la rencontre dure trois heures, ça te donne un gros sept minutes par parent.
— Me semble que c’est pas beaucoup, osai-je dire du haut de mon contrat temporaire.
— Y’en a qui viendront pas; ça te donnera plus de temps pour les autres, trancha-t-elle.

Je compris que je ne tirerais plus rien d’elle et je me tournai vers mes collègues expérimentées dans le domaine.

— Je leur dis quoi aux parents? demandai-je en mettant du sucre dans mon café.
— Tu leur dis de parler français à la maison, me dit la doyenne du groupe. Les autres rigolèrent un peu et passèrent à autre chose.

La soirée en question arriva finalement. Les parents étaient gentils, posaient de bonnes questions sur l’apprentissage de leur enfant, je donnais des réponses qui semblaient les rendre confiants. Aux parents d’enfants qui présentaient des retards au niveau du développement langagier en français, je faisais la recommandation de parler français à la maison, ce à quoi ils s’engageaient sur le champ. Dès demain matin, m’assurait-on.

J’avais gagné de l’assurance avec les années et mon discours était bien rodé quand j’abordais avec les parents le besoin de franciser leur foyer. Non seulement me promettaient-ils que la chaumière deviendrait un nid de francisation mais ils s’engageaient allègrement à arracher le piton de la télévision après avoir syntonisé Radio-Canada pour l’éternité (la télécommande n’existait pas encore). J’étais radieux. Jusqu’au soir fatidique où un parent osa me répondre :

— Non, j’ai pas l’intention de parler français à mes enfants.
— Euhhh, lui répondis-je.
— Je l’ai jamais fait et je vais pas commencer ça.

Que répondre à ça? Qu’aurait répondu ma collègue du haut de sa vaste expérience?

J’optai donc pour bredouiller que j’étais désolé mais que ses sept minutes étaient écoulées et qu’on reparlerait de tout ça. Il me serra la main, me remercia pour la qualité de mon enseignement : je faisais une bonne job semblait-il croire.

Ce soir-là, j’avoue avoir été tenté de postuler chez Eaton.

Quand cet incident s’est produit, j’avais quand même déjà quatre ou cinq années d’expérience derrière la craie blanche et je n’osai parler à personne de cette discussion. Je ne pouvais quand même plus prétexter l’inexpérience… Je décidai donc de prendre le taureau par les cornes et d’agiter devant lui le drapeau de la francophonie. Je demandai une deuxième rencontre à ce parent récalcitrant.

À cette époque, sans connaître l’existence du balancier compensateur de Landry et Allard (1), je savais instinctivement que l’école n’arriverait pas, seule, à véritablement franciser un enfant qui vit dans une ville anglaise avec des parents qui refusent de lui parler français. C’est à peu près ce que je lui expliquai, tentant de le convaincre que les efforts qu’il ferait permettraient à son enfant de se sentir beaucoup plus à l’aise avec la langue française. Sa réponse a été d’une limpidité déconcertante :

— Le français de ma fille est déjà bien meilleur que le mien. Pis elle aime ça. Moi, j’ai étudié en anglais pis si je lui parle avec ma sorte de français, elle va mal apprendre. C’est pas ça que je veux pour elle.

C’était la deuxième fois en autant de semaines que je me faisais clouer le bec.

Aujourd’hui, je remercie ce parent qui, par son honnêteté, m’a appris à voir la question de la langue au foyer avec la perspective de ceux qui doutent de leur capacité d’aider leur enfant. Je me suis aussi demandé comment les autres parents, ceux qui me faisaient de belles promesses, réussissaient à s’en tirer alors qu’ils étaient probablement assaillis par des doutes eux aussi.

Cet épisode tiré de mes expériences personnelles révèle l’importance qu’il faut accorder à la sensibilisation des parents. Cette sensibilisation nous demande d’être à leur écoute et très attentifs à leurs besoins et à leur perception des choses. Il faut aussi apprendre à mettre les choses en perspective : ce n’est pas la qualité du français parlé à la maison qui importe autant que l’engagement à garder la langue bien vivante. L’enfant qui entend un de ses parents parler français se dit que c’est une langue importante pour sa famille : il n’en juge pas la qualité. Mal apprendre? Qui n’a pas plusieurs niveaux de langue? On ne parle pas à ses amis ou à sa famille comme on parle en public.

De plus en plus de familles prennent la décision d’intégrer la langue française au foyer dès la naissance du premier enfant. Il en reste cependant qui n’en réaliseront l’importance qu’un peu plus tard. Au-delà des doutes, pour ceux-ci, le défi est de taille puisqu’il ne faut en aucun cas chasser ce qui est normal pour l’enfant. Le français devra prendre sa place tranquillement en s’insérant dans la routine du foyer sans rien brusquer. Chassez le naturel et… vous connaissez la suite!

J’ai cessé de dire aux parents de parler français à la maison. J’avais trop peur qu’ils me fassent des promesses. Je n’ai cependant pas abandonné le concept : je leur demandais plutôt de me raconter comment se déroulait la semaine de leur enfant et je tentais de cibler avec eux des moments où il serait réaliste d’intégrer du français. Le petit-déjeuner? La promenade du dimanche? Un souper au restaurant? Le trajet à l’aréna?

L’idée fait son chemin et je fais confiance aux parents. Quand les enfants ressentent l’importance que la langue peut avoir pour leurs parents, c’est un match important de gagné.

Ronald Boudreau est un collaborateur de Francosphère. Ses expériences lui ont permis de côtoyer le milieu scolaire, bien entendu, mais aussi les regroupements de parents en tant que président de son regroupement provincial et membre du bureau de direction de la Commission nationale des parents francophones (CNPF). L’occasion était donc trop belle de publier cet article qui est une adaptation d’un texte d’abord publié par la CNPF et repris avec son autorisation (Parents.comme/nous – 30 mars 2007, Numéro 19).


(1) Rodrigue Landry et Réal Allard de l’Université de Moncton ont développé le modèle du balancier compensateur en 1987. Ce modèle illustre la situation typique des francophones en milieu minoritaire au Canada et permet une prise de conscience sur la place faite au français et à l’anglais dans différentes sphère de nos vies. La principale ressource scientifique à ce sujet demeure leur publication « Étude des relations entre les croyances envers la vitalité ethnolinguistique et le comportement langagier en milieu minoritaire francophone ».

Diverses ressources ont repris ce modèle en l’adaptant pour en faire des applications pratico-pratiques :

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