Favoriser la réussite des stagiaires en situation de handicap
Nos milieux éducatifs de langue française bénéficient grandement de l’expertise du personnel ayant des parcours et des vécus diversifiés. C’est une richesse pour nos jeunes, qui s’ouvrent à d’autres réalités. Mais comment favoriser une insertion professionnelle réussie et gratifiante, notamment pour les personnes en situation de handicap? Le soutien offert dans le cadre du stage avant leur arrivée dans la profession est un élément important à considérer. Et c’est justement le sujet de l’article: L’accompagnement en stage: point de vue d’étudiantes en situation de handicap de trois programmes universitaires formant à des professions relationnelles, paru dans le numéro du printemps 2024 de notre revue Éducation et francophonie: Les enjeux associés à la formation en stage des personnes étudiantes issues de l’immigration et des personnes étudiantes en situation de handicap. Pour en savoir plus, on a rencontré Ruth Philion, professeure en adaptation scolaire à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), corédactrice de cet article et codirectrice de ce numéro.
L’accompagnement des stagiaires en situation de handicap
Si des solutions ont déjà été proposées pour favoriser la rétention du nouveau personnel enseignant, il faut dire que les stages sont des moments clés. En effet, la rétroaction offerte par les personnes chargées de leur supervision offre de précieux outils utiles tout au long de la carrière des membres du personnel éducatif en devenir. Cependant, ces stages sont susceptibles de représenter un défi plus considérable pour les personnes en situation de handicap. De plus, «bien que la plupart des personnes formatrices soient sensibles à la nécessité d’offrir aux stagiaires en situation de handicap un soutien adapté, elles méconnaissent les mesures d’accommodement et d’accompagnement à offrir», explique la chercheuse Ruth Philion qui a rédigé l’article avec ses collègues Christiane Bergeron-Leclerc (UQAC), Isabelle St-Pierre (UQO), Isabelle Vivegnis (UdM) et Caroline St-Jacques (UQO).
Mais alors, comment faire pour que les stagiaires en situation de handicap persévèrent, réussissent et accumulent des expériences positives pour bien les préparer à leur future profession? L’article tiré de l’étude des chercheuses nous propose de précieuses pistes de réponses. De quelle façon? Elles ont sollicité les commentaires et les recommandations de cinquante stagiaires en situation de handicap. Parce qu’«il est important de leur donner une voix pour cerner les défis qui jalonnent leurs parcours en stage et les besoins qui en découlent», précise Ruth Philion.
Ce sont donc des stagiaires de programmes de Sciences de l’éducation, mais également de Travail social et de Sciences infirmières qui ont répondu au questionnaire de cette étude. Parmi ces stagiaires, plusieurs avaient des conditions diagnostiquées mixtes comprenant des troubles de santé mentale, des troubles déficitaires de l’attention ou des troubles d’apprentissage. Une personne avait aussi une condition diagnostiquée du trouble du spectre autistique.
Comme le souligne Ruth Philion, un des volets de l’étude présentée dans cet article avait deux objectifs. D’abord, «décrire les principaux défis rencontrés par les stagiaires en situation de handicap et les facteurs pouvant aggraver ces défis. Puis, définir les mesures d’accompagnement souhaitées par ces stagiaires de la part des formatrices de terrain et des formatrices universitaires afin de les aider à composer avec leurs principaux défis».
Les défis rencontrés en stage
«La majorité des stagiaires de l’étude ont mentionné de deux à quatre défis affectant leur performance en stage. Les défis les plus fréquents sont de: savoir composer avec le stress, leur anxiété et les autres émotions, surtout lorsque celles-ci s’avèrent déstabilisantes. Les stagiaires ont aussi partagé vivre des défis relatifs aux savoirs: organiser et gérer leur temps; rédiger les travaux de stage dans les délais prescrits ainsi que les notes de terrain; quand et comment divulguer leurs besoins aux personnes formatrices et démontrer leurs savoir-faire lorsqu’elles sont sous pression. Certaines stagiaires ont également rencontré des difficultés à entrer en relation avec le personnel du milieu et parfois avec les élèves», indique Ruth Philion.
Et ces défis, les personnes participantes à l’étude étaient reconnaissantes d’avoir l’occasion de les nommer, de pouvoir parler de leur vécu. Plusieurs ont d’ailleurs remercié les chercheuses d’avoir pu participer à leur étude. C’est une manifestation de l’intérêt d’offrir aux stagiaires en situation de handicap l’espace pour s’exprimer.
«J’ai été étonnée par la franchise et la candeur des étudiantes et leur lucidité démontrée à l’égard de leurs défis. Elles constataient que leurs défis sont souvent exacerbés par l’attitude des personnes formatrices mal préparées à les accompagner. J’ai également été touchée par la souffrance associée à leurs expériences négatives, souvent amplifiées par l’incompréhension ou le jugement de certaines personnes formatrices. Mais au-delà de cette souffrance, la majorité des stagiaires ont démontré un grand désir de réussir, d’arriver à composer avec leurs défis», partage la chercheuse.
Quatre mesures d’accompagnement pour soutenir les stagiaires en situation de handicap
Justement, selon les personnes qui ont participé à l’étude, qu’est-ce que les accompagnatrices et accompagnateurs de stage devraient faire pour les soutenir dans leurs défis? Voici quatre de leurs recommandations mentionnées par la professeure.
1. Disponibilité et ouverture
«À l’égard de l’accompagnement, les stagiaires souhaitent que les formatrices démontrent une ouverture, de l’empathie et de l’écoute sans jugement ni dénigrement. Les stagiaires veulent pouvoir discuter de leurs défis en toute confiance et travailler à identifier, avec leurs formatrices, les actions à poser pour réussir leur stage.»
2. Clarté des attentes
«Les stagiaires souhaitent connaître les attentes spécifiques du stage, de même que les règles et les codes implicites. Il leur paraît essentiel de limiter les surprises et de connaître le niveau d’autonomie demandé, du fait qu’elles ont tendance à en faire plus que ce qui est attendu.»
3. Rétroactions fréquentes
«Conscientes de la nécessité de parfaire leurs savoirs et savoir-faire, les stagiaires souhaitent recevoir des rétroactions fréquentes des personnes qui les supervisent, rétroactions mettant à la fois la mise en valeur de leurs forces et des pistes d’actions pour mieux composer avec leurs défis.»
4. Soutien au développement des stratégies
«Certaines stagiaires souhaitent un étayage guidant les façons de faire, par exemple, en éducation, avoir l’occasion de faire du coenseignement avec leur enseignante associée. Elles souhaitent également du soutien au développement de stratégies, notamment pour composer avec le trop-plein de stimuli ou encore, pour mieux composer avec le stress et l’anxiété».
Un accompagnement qui fonctionne
La chercheuse précise qu’à l’issue d’une autre recherche sur ce thème avec sa collègue de l’UQO, la professeure Michelle Bourassa, elles ont élaboré un modèle d’accompagnement. Ce dernier est cohérent avec les recommandations des stagiaires, notamment en faisant en sorte que ces mesures «s’actualisent dans un plan d’accompagnement concerté avec les personnes formatrices, comme le propose l’une des participantes de la présente étude», indique la chercheuse.
Ruth Philion prend d’ailleurs le bâton du pèlerin, outillée des recommandations qui se dégagent de ses études, pour partager et réfléchir avec les formatrices et formateurs de stages aux meilleures pratiques d’accompagnement des stagiaires en situation de handicap. Parce que, pour faire changer les choses, il faut «aller sur le terrain, accompagner les milieux, réfléchir ensemble à leurs questions, identifier des actions qui répondent à leurs préoccupations et leur permettre de sentir que leur accompagnement peut faire la différence. Et ce, toujours dans une logique de responsabilité partagée, la réussite des stagiaires ne reposant plus que sur les épaules d’un des partis», explique-t-elle.
Parce que selon la chercheuse, la réussite et l’épanouissement des stagiaires en situation de handicap reposent sur des efforts communs. Des personnes stagiaires responsabilisées, motivées à réussir et des personnes accompagnatrices mettant en œuvre ce qu’il faut pour les soutenir: c’est vraiment ça la formule gagnante!
Et ça marche. Ruth nous parle d’ailleurs d’un exemple.
«J’ai suivi une étudiante ayant une dyslexie/dysorthographie. Je vais toujours me souvenir de son premier projet de stage. Je me disais: Oh, on a beaucoup de travail! Je l’ai suivi d’un stage à l’autre. Elle a eu à développer des objectifs, à explorer quelles mesures elle pouvait mettre en place et ensemble, nous avons convenu de ce que je pouvais lui offrir en soutien pour favoriser l’atteinte de ses objectifs. À son quatrième stage, elle était une autre personne qui a réussi avec brio. Tout ce qu’on a pu déployer ensemble dans une responsabilité partagée, mais aussi, et surtout, tout ce qu’elle a mis en place pour compenser sa dyslexie et sa dysorthographie a contribué à sa réussite. On travaillait ensemble: moi, voici ce que je peux faire pour toi. Toi, qu’est-ce que tu peux faire? On ne s’est pas lâchées. Elle a persévéré. C’était magique», raconte Ruth Philion, le regard rempli d’admiration pour son ancienne étudiante qui est aujourd’hui une enseignante accomplie.
Pour des milieux plus inclusifs
Au bout du compte, tout le monde gagne. Parce que c’est un avantage énorme de mieux accompagner, inclure et favoriser la réussite socioprofessionnelle des stagiaires en situation de handicap, notamment dans le milieu éducatif. C’est positif pour les personnes stagiaires elles-mêmes qui s’accomplissent et prennent leur place. C’est valorisant pour les personnes qui les accompagnent et qui contribuent à leurs avancées. C’est gagnant pour nos jeunes et nos élèves qui peuvent trouver en ces personnes des modèles. Et c’est bénéfique pour nos milieux éducatifs et nos communautés qui mettent alors en valeur une francophonie riche de sa diversité.
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis plus d’un demi-siècle, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «Les enjeux associés à la formation en stage des personnes étudiantes issues de l’immigration et des personnes étudiantes en situation de handicap», paru au printemps 2024, offre un éclairage prometteur sur l’importance de favoriser une plus grande inclusion et intégration socioprofessionnelle des stagiaires à besoins particuliers dans une logique de responsabilité partagée.
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