La résilience dans la vie de Phyllis Dalley: un parcours inspirant
Sociolinguiste de renom, Phyllis Dalley, professeure titulaire à l’Université d’Ottawa, multiplie les implications en faveur d’une éducation de langue française épanouissante. À l’origine de l’une des publications les plus populaires de ce blogue, elle souhaite que nos milieux éducatifs puissent favoriser un sentiment de bien-être linguistique et identitaire chez les jeunes. C’est dans ce contexte qu’elle a plongé l’auditoire du 75e congrès de l’ACELF dans une captivante réflexion avec sa conférence «Résilience langagière, apprentissage et inclusion».
Phyllis Dalley est membre du comité de rédaction de notre revue Éducation et francophonie, en plus d’être, entre autres, directrice et fondatrice des Chantiers d’actions et de recherches pour des Ffrancophonies inclusives ainsi que chercheuse au Réseau canadien des écoles ludiques. Elle se décrit d’ailleurs comme une passionnée de l’éducation de langue française en milieu minoritaire et de l’inclusion au sein d’une francophonie plurielle. Et c’est à travers ce prisme qu’elle aborde la résilience langagière, un sujet qui l’intéresse particulièrement. Mais pourquoi justement? En quoi son expérience personnelle l’a-t-elle orientée sur cette voie? En marge de sa conférence, l’équipe du blogue Francosphère s’est entretenue avec elle pour en savoir plus.
Vivre la francophonie malgré les défis
Phyllis Dalley l’explique d’emblée, «enfant d’un couple exogame, j’ai été construite en anglais et en français. L’école n’a pas toujours été source de résilience langagière ou de construction identitaire francophone [pour moi]. C’est pourtant la langue française, l’Acadie et les minorités francophones du Canada que je porte dans l’âme», affirme-t-elle.
Nous relatant différentes expériences au cours de son enfance, on comprend très bien que Phyllis Dalley a vécu plusieurs situations déstabilisantes. Parce que le sentiment de vivre l’insécurité linguistique, elle le connaît bien.
«Je me considère comme francophone», explique-t-elle. Pourtant, «quand je suis allée à l’école de langue française avec mon nom anglophone, j’ai tout de suite été [catégorisée] comme anglophone. Tout mon univers scolaire était lu à travers cette étiquette qu’on a placée sur mon front», poursuit-elle. Une fois, «assise à mon pupitre, un élève a mesuré ma tête pour savoir si j’étais vraiment une «tête carrée»», donne-t-elle comme exemple. «Je suis [ensuite] allée à l’école de langue anglaise où là, on me considérait comme francophone. Là, c’était: French frog», raconte-t-elle.
Phyllis poursuit en nous partageant d’autres exemples. «Rendue à l’Université de Moncton, une collègue de classe m’a présentée à un groupe d’amies en disant: «Je vous présente Phyllis. Elle parle vraiment bien français pour une anglophone!»», raconte-t-elle, en indiquant que ce genre de situations lui a parfois donné l’impression «d’être une francophone illégitime, mais aussi une anglophone illégitime, parce que j’habite à cette frontière. Je parle les 2 langues», explique-t-elle.
La femme engagée qu’est Phyllis Dalley vit avec ce parcours et cette réalité. «Même encore aujourd’hui, comme professeure, j’écris des articles que j’envoie à des revues de langue française et je reçois des commentaires comme quoi mon français n’est pas assez élégant, qu’il y a trop d’anglicismes. Avec des collègues qui sont aussi de milieux minoritaires, je vais plus facilement faire de l’alternance codique. Je vais emprunter un mot de l’anglais. Ce n’est pas grave, tout le monde comprend, ça ne veut pas dire que je suis moins francophone pour autant. Mais quand je suis avec un groupe d’amies francophones et qu’il y en a une qui est très normative, je me demande constamment si j’ai le bon mot. Il y a toujours ce reflet qui me ramène à ma langue», confie-t-elle.
«Être construite en contexte minoritaire, ce n’est pas la même chose que d’être construite en milieu majoritaire. Il y a des questions qu’on se pose au quotidien. Il y a toujours comme un fond de remise en question qui nous accompagne à tous les jours, si on continue de vivre, d’œuvrer en français. Il y a beaucoup de douleur autour de ça. Et j’aimerais tellement que le personnel enseignant reconnaisse cette douleur-là chez les élèves», partage Phyllis Dalley. «Je pense que c’est vraiment important en termes d’équité et d’inclusion au sein de la francophonie de le comprendre», spécifie-t-elle.
Créer des liens
Malgré les défis, le français occupe une place importance dans la vie de Phyllis Dalley. «Je suis la seule de trois enfants à avoir fait du français ma langue première», révélait-elle dans sa conférence. Pourquoi a-t-elle fait ce choix? «Je pense que c’est parce que les relations humaines les plus fortes que j’ai eues se sont produites en français», répond la professeure après un silence, dans une sincérité résonnante.
Cette réponse est importante à garder en tête. Entretenir d’enrichissantes relations en français. Créer des liens. La chercheuse fait un parallèle avec le commentaire d’un enseignant en éducation physique, en Ontario, dans le cadre d’une étude qu’elle a menée récemment. «L’enseignant a réalisé que, parce qu’il parlait de hockey en français et qu’il avait tissé des liens avec certains élèves en particulier, ces élèves syntonisaient la télévision en français pour écouter les parties de hockey [et pouvoir ensuite en discuter] avec cet enseignant-là en français», explique-t-elle.
En tant qu’intervenante ou intervenant en éducation de langue française, il ne faut pas sous-estimer l’importance des liens authentiques créés avec les jeunes. «La relation que le personnel enseignant va développer avec chaque élève est très porteuse. Si cette relation-là est celle d’une police langagière: «Parle français! Parle français!», ce n’est pas porteur de motivation à parler français. Alors que si c’est: «Je t’ai vu à traîner sur le corner de la street là, qu’essé tu faisais d’même un vendredi soir?» (en chiac), la relation est différente. Ça ne devient plus uniquement une relation enseignante ou enseignant-élève, ça devient une relation humaine. Puis c’est une façon de dire: tu fais partie de ma gang francophone», explique Phyllis Dalley.
Pour elle, il est important que les intervenantes et intervenants en éducation misent sur l’accueil de chaque jeune. «L’accueil, c’est ce qui m’a beaucoup manqué, mais en même temps, c’est ce que j’ai beaucoup eu. C’est cette reconnaissance de moi faisant partie de la communauté francophone. C’est ce qui m’a amenée jusque-là», poursuit-elle.
Être un modèle accessible
Et tout ceci est lié à la résilience langagière. «La résilience langagière est un processus enclenché par l’individu pour retrouver ou maintenir un sentiment de bien-être langagier et identitaire», explique la sociolinguiste. Ce mécanisme est mobilisé en contexte d’adversité, c’est-à-dire en situation d’insécurité linguistique: «reconnaître que la variété de français que je parle ne m’ouvre pas toutes les portes, fait en sorte qu’on me juge, etc.», précise Phyllis Dalley.
«Le processus de résilience fait appel à des ressources internes à l’individu (par exemple, une identité qui est forte ou une forte compréhension des enjeux auxquels je fais face), ou externe à l’individu (par exemple, avoir une communauté langagière qui me soutient ou la relation positive que j’ai avec un membre du personnel enseignant)», ajoute la professeure.
Mais alors, comment favoriser la résilience langagière chez les jeunes, dans nos milieux éducatifs? «La première étape, c’est qu’il faut que le personnel enseignant reconnaisse qu’il fait partie des ressources auxquelles l’élève doit avoir accès pour construire sa résilience langagière. Aussi, il doit reconnaître qu’il est souvent lui-même en contexte d’adversité linguistique», explique Phyllis Dalley.
Ce dernier doit «non seulement être un modèle accessible au niveau de la langue, mais aussi un modèle accessible au niveau de la résilience langagière», croit-elle. Pour y arriver, «il faut qu’il y ait une prise de conscience de ce qu’il met en œuvre pour continuer à parler en français, pour résister, pour retrouver un sentiment de bien-être là-dedans. [Et ce,] pour être ensuite capable d’accompagner les jeunes dans l’identification des ressources internes et externes pour cette résilience-là», poursuit-elle.
C’est dire que pour inspirer les jeunes à faire briller la francophonie dans leur vie, il faut d’abord pouvoir se questionner soi-même. Comme l’a fait Phyllis Dalley. Et ce, pour pouvoir pleinement les appuyer dans leur cheminement identitaire afin de trouver leur place au sein d’une francophonie plurielle et rassembleuse.
L’aviez-vous déjà réalisé?
Vous aussi, vous faites preuve de résilience langagière. Commençons donc par ici. Pourquoi avez-vous fait du français une langue si importante dans votre vie? Quelles sont les ressources et les motivations qui vous donnent envie de persister? Pourquoi parler en français, pour vous, ça en vaut vraiment la peine malgré les défis?
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