L’oral à l’école… bien plus qu’un exposé!
«L’oral, c’est la porte d’entrée pour l’ensemble des apprentissages» pense Christian Dumais, professeur titulaire en didactique du français et en formation en milieu de pratique à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Ancien enseignant au primaire et au secondaire, ce chercheur s’intéresse particulièrement à l’enseignement et à l’évaluation de l’oral dans les milieux éducatifs. C’est d’ailleurs à sa suggestion et sous sa direction qu’a été publié le plus récent numéro de la revue Éducation et francophonie: «L’oral à l’école». Pourquoi devrait-on s’intéresser à ce sujet de plus près? L’équipe du blogue Francosphère l’a rencontré pour en savoir plus.
Au-delà de l’exposé oral
Quand on mentionne l’oral à l’école, on pense tout de suite aux traditionnels exposés oraux. Et pourtant, c’est bien plus vaste que ça. «Les genres oraux, qu’ils soient préparés ou spontanés, sont d’une grande variété, on n’est pas obligé de se limiter au fameux exposé oral», souligne Christian Dumais. Désireux de présenter «des données concrètes pour que l’on puisse vraiment mettre en pratique l’oral dans les milieux», le chercheur mentionne que ce numéro d’Éducation et francophonie a justement été conçu dans le but de présenter «des éléments [parlants] à mettre en place pour le personnel enseignant».
Comme quoi? Comment, justement, peut-on miser davantage sur la prise de parole des jeunes dans nos salles de classe, au-delà des exposés oraux? Christian Dumais propose de faire une plus grande place à l’oral spontané. «Pour [l’élève], prendre la parole n’est pas quelque chose de toujours naturel, surtout lorsqu’on parle de prises de parole qui sont préparées. Quand on y pense comme il faut, l’exposé oral, ce n’est pas une pratique qu’on met souvent en place comme individu. Ce qu’on fait au quotidien, c’est prendre la parole pour poser une question, demander à quelqu’un de reformuler, faire part de ses émotions. Ce sont des apprentissages de base qui doivent être travaillés, je pense, avec ce qu’on appelle des conduites discursives: être capable d’argumenter, de justifier, d’expliquer. Tout ça, ce sont des apprentissages qu’on peut faire au quotidien dans ce qu’on appelle l’oral spontané», explique-t-il.
Qu’est-ce qu’on entend par là? L’oral spontané, c’est «un oral qui se produit ici et maintenant. Un oral qui ne sera pas parfait, et c’est normal. [Mais,] c’est cet oral qui est utile tous les jours de notre vie. Donc, on devrait commencer par le travailler avec les élèves au départ puis, avec le temps, travailler l’oral préparé», ajoute-t-il.
Et plusieurs activités épanouissantes mettent l’accent sur une prise de parole plus spontanée des élèves, explique le chercheur. «Je pense entre autres à la causerie [comme on le fait à] l’éducation préscolaire. Au primaire [et au secondaire], on peut aussi [initier] chaque jour des discussions sur différents sujets. On peut faire des audioguides en amenant les élèves à décrire des objets, des lieux. On peut faire du slam. Je pense qu’il faut se questionner à savoir quels sont les besoins de mes élèves et qu’est-ce que j’ai envie qu’ils ou qu’elles travaillent», souligne-t-il.
Faciliter l’apprentissage
Mais pourquoi consacrer du temps à la prise de parole des jeunes dans les milieux éducatifs, autrement que par des exposés oraux? Quel est l’intérêt? «Tout ce qu’on fait à l’oral [peut être vu] comme un gain de temps. Ce que je fais en oral aura des bénéfices en lecture, en écriture et dans les autres disciplines. [Par exemple,] quand je travaille l’explication à l’oral, ce sera utile par la suite en sciences. Quand je travaille la justification à l’oral, ce sera utile par la suite en lecture, en appréciation littéraire, etc. Tout ce que je travaille à l’oral sera réinvesti dans d’autres disciplines», commente le chercheur.
«Par exemple, si je veux travailler la justification avec mes élèves, ce sont les mêmes étapes à l’oral qu’à l’écrit. Donc, si je le fais au départ à l’oral, mes élèves auront des exemples qu’elles et qu’ils pourront entendre. Il n’y aura pas l’obstacle de la lecture. Et ce qui est intéressant à l’oral, c’est que j’ai accès à tout le processus mental que les élèves mettent en place. Si chaque élève explique [leur raisonnement], j’entends ce que les autres ont dit ce qui facilite l’apprentissage de la justification», ajoute le professeur.
Christian Dumais suggère d’inviter les élèves à s’exprimer oralement «quotidiennement en petits groupes [parce que] ça fait vraiment une différence. Ça les amène à prendre des risques que [les jeunes] ne prenaient pas avant. C’est ressorti des recherches. Le fait que les élèves soient en équipe et parlent ensemble de toutes sortes de sujets en mobilisant des savoirs qu’on leur a appris, c’est beaucoup moins stressant comparativement à l’exposé oral. Et c’est tellement formateur parce que les élèves parlent en français, et mettent en pratique différents apprentissages. C’est signifiant», ajoute-t-il.
Prendre confiance
Favoriser la prise de parole spontanée peut donc être vraiment bénéfique pour les apprentissages scolaires des jeunes. Mais il y a d’autres avantages, notamment d’alléger le fardeau de l’insécurité linguistique. Parce que «travailler l’oral spontané, ça répond vraiment à un besoin du quotidien des élèves», explique le chercheur. Un besoin d’apprendre à s’exprimer en français, avec aisance et assurance. «Plus on travaille l’oral, plus on aide les élèves à mettre en mots leurs pensées, à [développer un sentiment de] compétence, et plus ça fera une grande différence dans leurs apprentissages et dans leur vie personnelle», explique-t-il. Car, «plus on travaille l’oral, plus on permet aux enfants d’avoir confiance envers qui elles et ils sont», ajoute-t-il.
Aider nos jeunes à développer un rapport positif à la langue française et à vivre pleinement une francophonie confiante, c’est là un aspect important. «Quand on parle d’oral, c’est indissociable de la culture, de l’identité. Et tout ça doit être abordé», pense le professeur.
«On doit créer de réels contextes de prises de parole», ajoute-t-il. «Pour moi l’oral, c’est autant tout ce qui concerne la culture, tout ce qui concerne l’identité que la richesse des variétés de langue qu’il peut y avoir. Il n’y a pas de mauvais français, il y a des variétés de français. Je pense que, comme enseignant ou enseignante, on se doit de valoriser l’ensemble du français de la francophonie. C’est comme ça qu’on va permettre aux élèves d’avoir de la fierté pour la langue [française]», explique le chercheur. Inviter les jeunes à oser parler en français, avec tout ce qui compose leur personnalité, leur accent, leurs expressions, c’est une contribution importante pour les aider à bâtir une identité francophone foisonnante et affirmée.
Dans ce numéro
Favoriser la prise de parole des jeunes en classe a ainsi un grand impact sur différents aspects. Même si, de nos jours, on n’en parle peut-être pas encore assez. «Il y a très peu de cours [à l’université] qui préparent les étudiantes et étudiants à enseigner et à évaluer l’oral. Puis, en plus, les offres de formation continue sont très réduites en termes de didactique de l’oral», explique le chercheur. Il souligne à cet effet l’importance du numéro «L’oral à l’école». Regroupant 10 articles traitant de l’oral en éducation au Canada ainsi qu’en Belgique et en France, il donne «accès à des résultats de recherche, des expériences qui ont été menées dans les classes [pour] avoir un portrait de ce qui se fait en didactique de l’oral, aujourd’hui», explique Christian Dumais.
«Pour une rare fois, on a, dans un même numéro, des articles sur l’éducation préscolaire et sur le primaire. Ça démontre à quel point ce sont deux réalités différentes et pourtant, que le passage entre l’éducation préscolaire et primaire pourrait être encore plus étudié et réfléchi. [On passe de la prise de parole dans le jeu], à quelque chose de beaucoup plus formel, alors que les élèves pourraient avoir des bénéfices à pouvoir continuer à jouer. Ce numéro-là nous permet de voir toute la légitimité à accorder à cette continuité entre l’éducation préscolaire et le primaire. C’est quelque chose de très fort qui [en] ressort», explique le rédacteur invité de la revue. Signe que, peut-être, à l’école, au-delà des traditionnels exposés oraux, il y a intérêt à ajouter une touche créative et flexible dans la prise de parole que nous offrons aux jeunes.
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis 1971, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et de chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «L’oral à l’école», paru au printemps 2022, fournit un éclairage renouvelé et actuel des recherches autour de l’oral par une mise en commun de deux ordres d’enseignement. Vous aimeriez en savoir plus? Faites la lecture de ce numéro de la revue dès maintenant!
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