Miser sur le bien-être pour garder en poste le personnel enseignant
Quiconque travaille dans les milieux scolaires de langue française le sait. La pénurie du personnel enseignant qualifié est un enjeu important, en particulier en milieu minoritaire. Au nombre des facteurs qui contribuent au défi, on compte, entre autres, le décrochage professionnel. Et c’est dans ce contexte qu’une question se pose: que faire pour inciter le personnel enseignant à rester dans la profession? Ne faudrait-il pas miser davantage sur le bien-être? C’est là une piste de solution qui se dégage des résultats d’une recherche menée par Marie-Élaine Desmarais (Université de Saint-Boniface), Annie Kenny (Université Sainte-Anne) et Laurie Carlson Berg (Université de l’Ontario français). Elle est présentée dans leur article «Le bien-être, un levier pour contrer la pénurie du personnel enseignant? Points de vue d’acteurs concernés sur les raisons de leur décrochage» du numéro «Pénuries d’enseignantes et enseignants dans la francophonie canadienne et internationale: un état de la recherche» de la revue Éducation et francophonie.
Dans cette vidéo, découvrez les propos de la chercheuse Marie-Élaine Desmarais que l’équipe du blogue Francosphère a rencontré pour en savoir plus. Elle nous présente les pistes de solutions qui se dégagent de son étude sur le décrochage professionnel en enseignement.
Pourquoi quitter l’enseignement?
Avant de comprendre comment donner envie au personnel enseignant de rester dans la profession, il est utile de clarifier pourquoi des enseignantes et enseignants prennent la décision de la quitter. C’est la question à laquelle Marie-Élaine Desmarais et ses collègues ont tenté de répondre. Pour ce faire, elles ont réalisé des entrevues avec des personnes provenant d’écoles de langue française du Canada, en contexte minoritaire, ayant quitté la profession enseignante ou songeant à la quitter.
Bien que la décision de décrocher puisse être prise à différents moments d’un parcours, elle s’observe plus souvent chez le nouveau personnel enseignant. Les chercheuses soulignent d’ailleurs que, selon la Fédération nationale des conseils scolaires francophones (2018), «6% du personnel enseignant quittent la profession dans les cinq premières années suivant leur embauche». Cette situation est d’autant plus problématique en ce moment où pourvoir les postes en enseignement «est un besoin vraiment criant dans les écoles», indique Marie-Élaine Desmarais.
Mais pourquoi décrocher? Les chercheuses ont noté que les raisons exprimées par les personnes interrogées pouvaient être regroupées en 4 thèmes: le manque de soutien et de ressources, la lourdeur de la charge émotionnelle associée à la profession, le contexte professionnel difficile et les relations personnelles et professionnelles insatisfaisantes. Mais d’intéressantes conditions liées au bien-être du personnel enseignant ont aussi émergé. De quoi entrevoir des solutions pour inverser la tendance.
Des pistes de solutions à notre portée
Comment donner envie aux enseignantes et enseignants de rester en poste?
1. Adapter la formation universitaire
Marie-Élaine Desmarais explique premièrement que la formation universitaire en enseignement gagnerait à être davantage adaptée aux conditions réelles, sur le terrain: «Une des recommandations qui provient de nos entrevues [est de favoriser] une meilleure communication entre les facultés d’éducation et les commissions scolaires ou les divisions scolaires. [Le but étant d’améliorer] la transition qu’on peut faire pour accompagner le nouveau personnel enseignant dans cette profession».
2. Offrir du mentorat et faire du coenseignement
Une autre piste plusieurs fois soulignée par les personnes interrogées dans le cadre de l’étude est d’«offrir plus de coaching et de coenseignement dans les écoles», explique la chercheuse. Elle souligne que l’appui et les conseils d’une personne mentore pourraient être particulièrement bénéfiques au nouveau personnel enseignant afin de les aider à répondre aux défis rencontrés: «Ces programmes de mentorat permettent d’offrir un suivi qui est beaucoup plus individualisé et ont généralement tendance à répondre à des besoins de soutien [auxquels] les autres modalités de développement professionnel peuvent moins bien répondre».
Car, selon la professeure, il est pertinent de porter une attention spécifique aux enseignantes et enseignants nouvellement en poste pour faciliter leur insertion professionnelle. Elle précise qu’il est également opportun de voir «ce qu’on peut faire pour les aider à structurer leur horaire de travail, leur charge, leur assignation pour que [le nouveau personnel] puisse vivre un succès», en spécifiant qu’il hérite souvent «de la tâche d’enseignement la plus complexe. C’est-à-dire qu’il a souvent les groupes plus difficiles ou des matières qui sont éparpillées [ce qui oblige les enseignantes et enseignants nouvellement en poste] à faire énormément de préparation en plus de faire beaucoup de gestion de classe», spécifie-t-elle.
3. Offrir un développement professionnel personnalisé
Comme autre solution pour donner envie au personnel enseignant de demeurer dans la profession, la chercheuse soulève l’idée de miser sur le développement professionnel. Elle mentionne l’intérêt de parfaire les connaissances du personnel en enseignement selon leurs propres choix, de façon à ce que «ce soit inclus dans la charge de travail habituelle des enseignantes et enseignants. C’est-à-dire que le développement professionnel ne devrait pas être quelque chose qu’on a à faire en plus», précise-t-elle. Une occasion pour les enseignantes et enseignants d’élargir leurs connaissances en fonction de leurs besoins et intérêts.
4. Favoriser une culture scolaire positive
Marie-Élaine Desmarais souligne aussi l’importance de s’intéresser plus globalement à la culture scolaire. En effet, les écoles gagneraient à cultiver davantage «une ambiance à l’intérieur de l’école qui fait qu’on se sent bien, qu’on est en sécurité, qu’on collabore et qu’on s’entraide. Ça contribuerait à ce que [les enseignantes et enseignants se] sentent moins découragés, sachant que quelqu’un est là [pour les] supporter et les aider», commente-t-elle. «Ça briserait un peu l’isolement que les enseignantes et enseignants ressentent», complète-t-elle. De quoi créer un climat agréable et motivant à l’école.
Le bien-être du personnel enseignant au bénéfice de nos communautés
Ces pistes orientées sur le bien-être des enseignantes et enseignants ont le potentiel de diminuer le désengagement professionnel. Car, rappelons-le, cette profession est aussi profondément gratifiante, passionnante et stimulante. Et le personnel enseignant, qu’il soit récemment en poste, ou à l’emploi depuis longtemps, a un rôle et un impact important sur le développement éducatif des élèves, mais aussi sur leur construction identitaire francophone. Favoriser le bien-être des enseignantes et enseignants, c’est gagnant pour nos jeunes, nos milieux scolaires et pour la vitalité de toutes nos communautés francophones. Voilà autant de bonnes raisons pour sérieusement travailler au bien-être des gens qui occupent cette profession si essentielle.
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis un demi-siècle, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «Pénuries d’enseignantes et enseignants dans la francophonie canadienne et internationale: un état de la recherche», vise à faire le point sur les résultats des recherches francophones sur la problématique des pénuries d’enseignantes et enseignants au Québec, ailleurs dans la francophonie canadienne ainsi que dans la francophonie mondiale.
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