Vers un meilleur dépistage des troubles du langage pour les enfants bilingues

16 juin 2025
par Francosphère

Saviez-vous que les enfants qui parlent plus d’une langue sont plus à risque de recevoir, à tort, un diagnostic de trouble développemental du langage (TDL)? Pourquoi? Parce que les outils d’évaluation utilisés en orthophonie sont généralement basés sur des normes monolingues.

Pour remédier à cette situation, Marianne Paul, professeure au département d’orthophonie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), avec sa directrice de thèse Elin Thordardottir, professeure à l’École des sciences de la communication humaine à l’Université McGill, toutes deux du Québec, ont adapté un outil de dépistage pour mieux distinguer les manifestations du TDL de celles du bilinguisme. Elles présentent les résultats prometteurs de l’outil dans l’article: La prise en compte du bilinguisme lors d’un dépistage en orthophonie : vers une meilleure identification des enfants bilingues d’âge préscolaire, paru dans le numéro du printemps 2025 de la revue scientifique Éducation et Francophonie: La prise en compte de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique par et dans les services éducatifs complémentaires en contexte éducatif francophone: entre inclusion et exclusion.

Écoutez-les expliquer avec passion ce projet de recherche.

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Une différence qui change tout

Dans nos écoles, lorsqu’un enfant éprouve des difficultés à communiquer, l’orthophoniste intervient pour en déterminer l’origine. Souvent, c’est un trouble développemental du langage (TDL) qui est en cause. Celui-ci peut se manifester par des difficultés expressives (articulation, ordre des mots, accords) ou de compréhension (concepts abstraits, interprétation, relation temporelle). «Les enfants qui ont un TDL ne feront pas nécessairement des fautes différentes que ceux qui n’ont pas de trouble de langage, mais ce qui est vraiment différent, c’est qu’ils apprennent le langage moins vite», explique Elin. «Sauf que ça, c’est aussi vrai pour les enfants bilingues, parce qu’ils vont diviser leur temps [entre les langues apprises]», poursuit-elle.

Par exemple, un enfant unilingue consacre 100% de son temps d’apprentissage au français. En comparaison, un enfant bilingue qui partage son temps entre deux langues peut créer l’illusion d’un apprentissage plus lent et être dirigé faussement vers un diagnostic de trouble de langage. Alors, comment savoir si l’enfant bilingue a réellement un TDL? La réponse: ses difficultés seront présentes dans les deux langues, et ce, peu importe le temps d’exposition à la langue. «Si on a un trouble de langage, on l’a dans les deux langues. On ne peut pas avoir un trouble de langage juste dans une langue», souligne Elin.

Une idée ingénieuse pour améliorer le dépistage

«Les enfants monolingues, ça toujours été la norme standard. Il faut sortir de ça et avoir des attentes pour les enfants bilingues qui sont basées sur leurs expériences individuelles avec chacune des langues», présente Elin. C’est là que le MilBec entre en jeu: un questionnaire adapté au français conçu pour être rempli par les parents.

Et qu’est-ce qui rend le MilBec unique? C’est l’idée ingénieuse de Marianne: séparer les items du questionnaire en deux catégories. Elle explique: « [d’un côté il y a] les éléments qui vont être moins affectés par le bilinguisme, donc plus général, et [de l’autre], les items qui sont plus spécifiques au français, donc pour lesquels on va s’attendre à voir un impact.»

Ainsi, l’enfant bilingue, sans trouble de développement du langage, devrait bien réussir les questions générales, mais pourrait moins bien performer dans celles spécifiques au français. Alors que l’enfant bilingue avec un TDL rencontrera des difficultés dans les deux catégories puisque son trouble affecte le langage dans son ensemble.

 

Légende: Simplification d’une situation complexe à des fins de représentation visuelle.

Les bienfaits d’un dépistage précis

Plus les difficultés langagières sont repérées tôt, plus on peut intervenir efficacement. Le MilBec, en tenant compte de la réalité bilingue, contribuera à un dépistage plus juste dès le préscolaire.

Cette précision du diagnostic est bénéfique pour tout le monde:

  • L’enfant reçoit un soutien adapté et voit les impacts négatifs de son trouble diminuer;
  • Les parents obtiennent des réponses et des pistes de solutions, en plus de se sentir rassurés;
  • Le personnel enseignant peut mieux identifier les besoins de l’élève et ajuster ses interventions avec celles de l’orthophoniste.

«Il est aussi important de dépister les enfants qui n’ont pas de troubles de langages», ajoute Elin. Parfois, les parents d’enfants bilingues ressentent de l’inquiétude par rapport au rythme d’acquisition du langage de leur enfant. Le MilBec permet de les rassurer. Et «comme parent, il y a amplement de quoi s’inquiéter. Pas besoin d’en ajouter. Au contraire, si on peut en enlever, tant mieux!», souligne Marianne.

La recherche se poursuit

À l’heure actuelle, le MilBec en est à ses débuts et permet de dépister les troubles développementaux du langage de modérés à sévères. Depuis qu’elle est professeure au département d’orthophonie de l’UQTR, Marianne a continué d’utiliser l’outil. «Et là l’idée, c’est d’aller documenter cette version avec des données normatives plus imposantes» explique-t-elle. Ses données permettront d’affiner les questions de l’outil pour permettre de dépister aussi les troubles légers. «L’objectif, c’est d’identifier le plus rapidement et le mieux possible l’ensemble des enfants qui ont des troubles développementaux du langage», conclut Marianne.

Note des autrices : Le questionnaire MilBec est une adaptation bonifiée du questionnaire de Luinge et al. (2006).

 

Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?  

Éducation et francophonieest une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis plus d’un demi-siècle, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «La prise en compte de la diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique par et dans les services éducatifs complémentaires en contexte éducatif francophone : entre inclusion et exclusion? », paru au printemps 2025, documente les différents enjeux rencontrés par les intervenantes et intervenants des services éducatifs complémentaires qui travaillent en contexte de diversité.

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