Immigration, francisation et sentiment d’appartenance
Nos milieux éducatifs francophones s’enrichissent de la diversité ethnoculturelle. C’est notamment le cas parce que des familles issues de l’immigration font le choix d’une école de langue française pour leur enfant. Et ce, même si certaines d’entre elles ne parlent pas ou peu le français. Pourquoi ces familles prennent-elle cette décision pour leurs jeunes? Et quels sont les effets des initiatives de francisation pour ces élèves? Aïcha Benimmas, professeure titulaire à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Moncton, et Lamine Kamano, professeur adjoint à la même faculté, abordent justement ces aspects dans leur article: «La francisation des élèves nouveaux arrivants et ses effets sur leur intégration socioscolaire: dynamique collaborative entre les organismes d’accueil et l’école francophone du Nouveau-Brunswick». En marge de la parution de celui-ci dans le numéro de la revue d’Éducation et francophonie «L’école et les enjeux de diversité: expériences d’élèves et de membres du personnel scolaire d’origine immigrante», on s’est entretenu avec ces deux universitaires pour en savoir plus.
Le contexte du Nouveau-Brunswick
L’étude décrite dans l’article d’Aïcha Benimmas et de Lamine Kamano a été réalisée à l’aide d’entrevues avec des animatrices et animateurs d’activités de francisation ainsi que des enseignantes du Nouveau-Brunswick. Or, il importe de mentionner que cette province bénéficie d’un contexte spécifique. Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue au Canada (français et anglais). De plus, elle dispose d’une politique d’inclusion scolaire. «Par exemple, dans le contexte québécois, on a des classes d’accueil. On veut essayer de franciser les enfants avant de les placer dans le système dit «régulier». Ici, on ne peut pas le faire parce que c’est contre la politique d’inclusion scolaire», explique Lamine Kamano.
Mais alors, comment francise-t-on les élèves provenant de l’immigration qui ne s’expriment pas ou peu en français? Avec une variété d’initiatives en francisation cohérentes avec cette politique d’inclusion. C’est ce que nous expliquent la chercheuse et le chercheur. «Il y a un triangle de collaboration entre les districts scolaires, les écoles et les organismes d’accueil et d’intégration des [personnes issues de l’immigration]», indique Aïcha Benimmas. Et c’est, entre autres, ceci qui a suscité l’intérêt des deux universitaires.
Pourquoi choisir l’école de langue française?
Mais pour commencer, intéressons-nous à la décision des parents. «Lorsqu’on parle de la francisation dans le contexte de l’immigration, cela signifie que les [personnes issues de l’immigration] ont choisi de vivre et de s’installer au sein de la société francophone. L’article s’intéresse à cette catégorie d’immigrantes et d’immigrants qui arrivent au Nouveau-Brunswick et qui choisissent l’école francophone [pour] leurs enfants. Donc, il y a un lien entre la vie qu’on veut se donner au Nouveau-Brunswick et le choix de l’école», explique Aïcha Benimmas.
Cette future vie souhaitée, c’est ce qui incite plusieurs parents provenant de l’immigration à inscrire leurs enfants dans des écoles de langue française. Parmi diverses raisons, «deux arguments fondamentaux expliquent [ce] choix: la continuité des apprentissages et le bilinguisme», spécifient la chercheuse et le chercheur dans leur article. Comment ça?
Pour ces familles, inscrire «leurs enfants dans les écoles francophones de la province [permet] d’assurer la continuité des apprentissages en français et de pérenniser l’identité culturelle francophone», mentionnent les deux universitaires dans leur article. Dans ce cas-ci, la francisation offre notamment à ces élèves l’occasion de «mettre à niveau certaines compétences langagières en les accompagnant sur le plan linguistique», précise Lamine Kamano.
Mais une autre réalité s’observe aussi. En effet, certaines familles d’origine immigrante décident «d’envoyer leurs enfants dans les écoles francophones alors qu’elles ne comprennent pas le français» poursuit le professeur. Dans ces circonstances, il explique que les parents peuvent prendre cette décision dans l’objectif que leur enfant devienne bilingue. Ces parents jugent ainsi que l’école de langue française est la plus à même de leur permettre d’atteindre cette ambition. Ce choix d’école est fait «pour que leurs enfants aient plus d’opportunités et de chances au niveau de l’insertion professionnelle plus tard», précise Aïcha Benimmas.
Plusieurs actions en francisation
C’est là que les activités de francisation s’avèrent essentielles. Les deux universitaires insistent sur ce point. «La francisation présente un élément fondamental dans le processus d’intégration des élèves [provenant de l’immigration récente] au sein de la société d’accueil. Lorsque les élèves sont allophones ou parlent peu la langue française, il est impératif [pour elles et eux] d’apprendre la langue d’enseignement. Pour réussir leur scolarité en français, c’est un incontournable», explique Aïcha Benimmas.
Et quelles sont les initiatives répertoriées pour franciser ces élèves? «L’article [fait mention] de stratégies comme: les groupes de jeunes, le tutorat, les camps d’été, Francobulles, Francojeunes, les ateliers de francisation et les cercles de conversation. Ce qui a frappé dans les résultats obtenus par rapport à cette recherche, c’est la multiplicité et la diversité de ces stratégies et de ces initiatives de francisation qui sont utilisées dans les écoles et qui sont encouragées par les districts scolaires et par les associations d’accueil d’intégration des [nouvelles personnes arrivantes]», explique la chercheuse.
«Chaque grande catégorie joue un rôle spécifique. Les activités d’accompagnement linguistique d’ordre culturel et sportif développent [les habiletés langagières] chez l’enfant à travers les interactions vécues avec ses pairs pendant les différents jeux. D’autres activités plus pédagogiques, à savoir les ateliers de francisation ou le tutorat, développent les autres composantes de la littératie: l’écriture, la lecture et la communication orale», explique Lamine Kamano. «Il y a une sorte de complémentarité entre les différents types de stratégies de francisation qu’on essaie de mettre en œuvre. [Ces initiatives vont permettre à] l’enfant de développer des habiletés à la fois sur le plan des compétences langagières, mais aussi [elles vont lui permettre de] développer des habiletés pour s’insérer dans la société», poursuit-il.
L’univers social et affectif des jeunes
Ainsi, la chercheuse et le chercheur expliquent que la francisation va au-delà du strict apprentissage du français. Elle permet, entre autres, aux jeunes de tisser des liens, de créer de nouvelles amitiés et de développer le sentiment de faire partie de la communauté francophone.
«Sur le plan socioaffectif, c’est très important que l’enfant puisse communiquer avec son environnement social. Quand l’élève apprend la langue, ça va lui permettre de tisser des relations amicales, et ça va l’encourager à participer aux activités. Ça va l’aider aussi à se sentir faisant partie d’un groupe, d’une communauté, et ça va jouer sur son sentiment d’appartenance. Autrement dit, ça va l’aider à se réaliser comme individu au sein de la nouvelle société. Donc [la francisation est nécessaire] non seulement pour la réussite scolaire de l’élève, mais aussi pour son épanouissement sur le plan socioaffectif», complète Aïcha Benimmas.
«La francisation évoque une interdépendance entre la sphère cognitive et la sphère socioaffective de l’enfant. Les deux interagissent. Plus l’enfant apprend et maîtrise la langue, plus il va cheminer adéquatement dans son processus scolaire, plus il va s’épanouir en tant qu’individu au sein d’une communauté où il est capable de tisser des relations», reformule la chercheuse.
En particulier, ce développement du sentiment d’appartenance mentionné chez les enfants en processus de francisation «est quelque chose de fondamental qui va avoir un effet sur la cohésion sociale plus tard, sur le développement de l’élève comme citoyenne ou citoyen aussi», précise la professeure.
Pour la vitalité de la francophonie
Dans leur article, Lamine Kamano et Aïcha Benimmas détaillent divers effets de la francisation sur l’intégration socioscolaire des élèves. Sans directement nommer la construction identitaire dans celui-ci, la chercheuse et le chercheur laissent pourtant entrevoir à quel point les actions de francisation qui se déroulent au Nouveau-Brunswick ont un impact sur le développement identitaire francophone de ces élèves. Par des activités variées permettant notamment aux jeunes de tisser des relations amicales et de s’amuser, il est possible de penser que ces initiatives en francisation leur donnent l’occasion de développer un lien positif avec la langue française ainsi que de vivre une francophonie rassembleuse. Et que ces activités offrent un contexte propice à ce que ces jeunes fassent une place importante à la francophonie dans leur vie. Justement, l’objectif de la francisation n’est-il pas celui de donner envie aux personnes de se sentir liées à nos communautés francophones, d’y faire leur place, d’y participer, pour contribuer ensemble à notre vitalité?
Au fait, la revue Éducation et francophonie, c’est quoi?
Éducation et francophonie est une revue scientifique arbitrée, publiée par l’ACELF, qui présente des résultats de recherche inédits sur l’éducation en langue française. Depuis plus d’un demi-siècle, elle contribue à l’avancement des connaissances en éducation francophone au Canada et stimule la réflexion des leaders du domaine. Les thèmes qu’elle aborde touchent tous les ordres d’enseignement et font appel à la contribution de chercheuses et chercheurs à travers la francophonie canadienne et internationale. Son numéro «L’école et les enjeux de diversité: expériences d’élèves et de membres du personnel scolaire d’origine immigrante», paru à l’automne 2023, vise à renouveler l’éclairage sur les enjeux de prise en compte de la diversité dans les milieux scolaires.
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